Ah on en a beaucoup entendu parler du Babel de R. F. Kuang, prix Locus, prix Nebula, prix de la hype (cherchez pas, je viens de l’inventer), vraiment de quoi être enthousiaste en se jetant dessus ! De Saxus a mis les petits plats dans les moyens plats dans les grands plats avec une édition collector coffret bien bling bling, évidemment, mais surtout, ils ont monté en gamme niveau trad en allant chercher Michel Pagel. Voyons ce que ça donne.
Robin est un jeune chinois orphelin recueilli par un professeur de la célèbre université d’Oxford en Angleterre, qui va le former aux langues pour lui permettre d’y intégrer l’institut Royal de Traduction, la fameuse Babel. Babel est le cœur de l’empire britannique de ce début de XIXe siècle, ses études lui permettent d’utiliser l’argentogravure, une magie née du sens et des traductions des mots, pour assoir sa puissance commerciale et son prestige. Dans son parcours universitaire, Robin va découvrir cette magie, mais aussi toutes les injustices sur lesquelles elle repose, et les rapport inégaux d’un empire face aux pays qu’il a colonisés. Que faire alors ? Entre sa vie privilégiée et ses racines, Robin devra trancher.
Babel propose bien évidemment une histoire qui traite de la colonisation, du racisme et des rapports entre les peuples, à une époque charnière où les grands empires occidentaux se faisaient bien plaisir sur le dos des peuples indigènes « mais bon on leur amène la civilisation hein ». Bon, ça veut pas forcément dire que ça a complètement disparu, j’ai d’ailleurs lu le bouquin pile la semaine où ça a commencer à bien péter en Nouvelle-Calédonie et ça fait un écho très étrange, le propos sur le colonialisme n’en ressort que mieux. Le sujet est important, bien synthétisé ici par l’autrice qui a réussi à schématiser devant nous les grands leviers de domination assez dégueulasses que nos pays ont installé tranquillement pendant des siècles. Le traitement révoltant, le racisme évident et le fait que les anglais voient pas de problèmes à piller ces « sauvages » pour le bien de la couronne, tout ça est clairement exposé dans un roman au propos percutant.
Tout repose sur un système de magie qui permet à l’Angleterre de faciliter tout un tas de choses de la vie courante pour ses sujets. L’argent peut être imprégné de magie en gravant dessus un mot dans une langue et son équivalent dans une autre langue, les différences de nuance et de sens vont créer un effet quelconque, comme faire avancer un train, guérir un malade ou faire péter des trucs. Si dans le principe c’est effectivement innovant et intéressant, je pouvais pas m’empêcher de trouver ça un peu brouillon : L’effet des couples de mots m’a semblé super hasardeux et pour mon cerveau scientifique un peu carré, c’était quand même une science super aléatoire. Mais au final on s’en fout un peu, parce que l’argentogravure ne sert finalement pas à grand chose dans l’histoire en tant que magie, elle est surtout utilisée comme force économique qui va synthétiser les rapports de force et rassembler le pouvoir impérial dans ce seul entonnoir symbolique (et pratique). C’est déjà malin.
Si je reconnais l’importance du message et des thèmes du bouquin, je dois bien reconnaître que je me suis fait chier à la lecture. Parce que Babel explique plus qu’il ne raconte une histoire, avec ce protagoniste cantonnais et sa cohorte d’étudiants qui découvrent cette école prestigieuse et ensuite ses dessous presque pas cachés, il ne se passe pas grand chose. Arrivé à la moitié de ces 750 (!) pages, on en était encore à m’expliquer le colonialisme, à m’exposer (longuement) l’étymologie de tel ou tel mot pour expliquer que si on prend l’équivalent suédois de « brosse à dent » ça fait avancer un vélo, et on assiste à des discours face aux professeurs de l’institut. Bon je suis peut-être moins réceptif au contexte académique, mes études supérieures c’était il y a plus de 15 ans, donc les histoires étudiants-professeurs et je suis en retard en cours, bon, voilà quoi… Puis on commence petit à petit à avoir des conflits moraux, et finalement les choses démarrent sur le tard et ça finit un peu dans la précipitation tout de même (pour une phase finale pleine d’interrogations existentielles interminables pour Robin). Il y a beaucoup de blabla, grosso modo, et on se fait bien plaisir sur les notes de bas de page, mais je n’aime pas ces romans qui me donnent plus l’impression de m’expliquer des trucs en long, en large et en travers, que de me faire vivre une histoire aux côtés de ses personnages.
On suit donc ce Robin Swift, déchiré entre le confort matériel et le sentiment d’appartenance que lui a apporté Babel d’un côté, et de l’autre le sentiment de révolte quand il ouvre les yeux sur ce système auquel il participe . Mais le jeune homme, comme ses camarades, a un côté assez mono-dimensionnel. Ils et elles manquent tous de profondeur et surtout de nuance, les personnages comme le message sont très manichéens, au final t’es un méchant ou un gentil et tout ça parait simpliste sur une problématique si complexe. Pourtant l’autrice explore cette conflictualité et cette différence de perspective mais tout ça se décante vers un truc assez simpliste au final. Et « l’affrontement » du dernier acte parait assez ridicule devant de tels sujets, les enjeux sont bancals et ne m’ont pas convaincus, et je me demandais pourquoi donc quelqu’un en avait quelque-chose à foutre de ces 3 gosses qui font leur révolution dans leur coin (et qui est assez con pour centraliser à ce point un élément aussi important du pouvoir ?). R. F. Kuang convainc quand elle veut nous faire sentir le racisme, l’injustice, cet aspect est brillant, mais dès qu’elle veut en faire un enjeu dramatique pour son histoire et ses personnages, ça ne fonctionne jamais vraiment pour moi.
Mais, rendons à Michel ce qui est à Michel, l’éditeur français De Saxus a réussi à dépasser son image catastrophique en terme de traduction et de relecture en donnant ce bébé à Michel Pagel qui rend une copie convaincante. La lecture est fluide, les passages compliqués concernant la traduction et les explications sont clairs, on a vraiment du bon boulot de ce côté là et il fallait le préciser puisque ce n’est pas toujours le cas chez cet éditeur. Je ne sais pas si c’est généralisé sur les parutions récentes (pas sur Fonda Lee en tous cas) mais saluons l’effort, d’autant plus que Pierre-Paul Durastanti et Michelle Charrier ont aussi bossé pour eux récemment. Pourvu que ça dure.
En résumé, nous avons donc un roman au propos de fond fort mais qui n’a pas réussi à me convaincre par son histoire et ses personnages qui manquent de relief. Tentez-le tout de même si le sujet vous intéresse, il a pas eu des prix pour rien je suppose, mais c’était pas le genre de bouquin qui me fait vibrer.
Lire aussi l’avis de : Le nocher des livres,
Couverture : Nico Delort
Traduction : Michel Pagel
Éditeur : De Saxus
Nombre de pages : 768
Date de sortie : 9 Novembre 2023
Prix : 28,90€ (relié) / 22,90€ (broché) / 13,99€ (numérique)
Pareil : bof, bof et rerebof !
Copain de bofitude !
ok, je vais passer alors, sauf en cas de constipation (puisque tu t’es fait chier à le lire) 😆
Oui, je sors, je ne suis pas inspirée cet après-midi 🙂
Ça va c’est pas la cacastrophe
Merci pour cet avis que je partage totalement! je me suis beaucoup ennuyée alors qu’il y a aussi de très bonnes choses dans ce bouquin. Je pensais être passée à côté car il y a des retours très positifs autour de moi…
Vu les retours sur ma chroniques et sur les RS, on est pas seuls. Parfois y’a une différence entre le ressenti hype et ce que les gens ont pensé du bouquin quand on discute, c’est assez étrange
un roman qui ennuie et qui fait un effet bof 750 pages plus tard ça va pas le faire, pour moi…
Et l’argument prix, bon, ça me convainc plutôt de passer vraiment mon chemin
J’ai pas tendance à faire attention aux prix, ils sont pas souvent alignés avec mes gouts, en fait ^^
Idem à tel point et c’est rare chez moi que je n’ai pas fini le livre. Ça manque de moments marquants, de souffle épique…