Tout lecteur a dans un coin de sa tête une liste… Enfin il ou elle en aura plein selon son degré de maniaquerie, mais là je fais référence à notre liste d’auteurs et d’autrices qui sont des achats automatiques. Ces gens écrivent n’importe quoi et paf, on achète. Isabelle Bauthian est sur cette liste, chez moi, depuis sa saga des Rhéteurs et Face au dragon (oui, bon, je parle des romans, j’ai pas tenté les BDs, laissez-moi le temps ho). Et même quand elle sort un roman Young Adult de SF post-apo, j’ai envie de le lire, c’est dire.
Lisi a bien de la chance de vivre à Jacksonstadt, cité préservée de l’apocalypse climatique qui a transformé le monde en désert hostile. Il se pourrait même que son père adoptif les fasse rentrer dans le club très fermé des Belles Familles, les bourgeois du coin. Mais c’est sans compter sur l’attentat qui va changer sa vie et la forcer à fuir hors des murs de la ville, vers le désert de la zone tampon, en compagnie de sa sœur Soraya et du très énervant prêtre Milen. Ils partiront à la recherche d’une cité cachée, et croiseront sur leur route des survivants et des réfugiés, ceux que Jacksonstadt a décidé de laisser à la porte.
Isabelle Bauthian aime bien poser dans une marmite quelques personnages aux points de vue fort différents et faire percuter leurs convictions les unes contre les autres en secouant bien fort au fil d’une aventure. Zone tampon ne déroge pas à la règle et reprend pas mal cette recette déjà affinée dans les rhéteurs, mais l’autrice l’adapte aussi à un autre exercice. Nous avons deux adolescentes et un prêtre qui se lancent dans une fuite éperdue dans le désert. La cité qui les abritait a sacrifié bien des choses au nom de la sécurité, alors qu’à l’extérieur, le danger côtoie des modes de vie hallucinants pour une jeune fille habituée au contrôle des naissances, à l’optimisation sociale et à une politique migratoire extrêmement sélective.
Tout le déroulement de l’intrigue est très efficace, à la fois par la solidité de ses personnages, mais aussi par sa fluidité. L’aventure est entrainante et vive, tout le démarrage est d’une efficacité redoutable ! Les questionnements arrivent juste quand il faut, mais on a de vrais enjeux personnels dans cette quête. Le décor hors de la ville prend des airs de Mad Max, mais on évite les clichés du « chacun pour soi et c’est le plus cruel qui gagne », il y a plusieurs groupes qui se côtoient, avec des valeurs et des rôles différents. On suivra pas mal les Comanches, des nomades justiciers à dos de chameaux (c’est tellement cool) qui vont accompagner nos héros un moment. Le contexte est bien construit, cet équilibre social est crédible pour le lecteur et quelque-part ça surprend de voir une dystopie YA qui traite son background politique avec sérieux.
J’ai également fort apprécié le traitement de la question religieuse au travers du padre Milen, l’autrice donne vie à un prêtre humain loin des caricatures de religieux fanatique allumé qu’on croise très souvent en SFFF. Ce personnage aborde sa foi et ses convictions avec du recul et de la réflexion, mais n’en reste pas moins humain et impliqué dans l’histoire qui se joue. C’est un homme, quoi. Et fort bien écrit. La relation entre les deux demi-sœurs est aussi très juste, on sent le décalage de deux proches qui se découvrent vraiment, et se découvrent des convictions et des forces de caractère insoupçonnées. Le périple de Lisi, Soraya et Milen partira d’un quasi-malentendu et ils passeront quelques centaines de pages à apprendre à se connaitre au-delà des apparences auxquelles ils s’étaient arrêtés jusqu’ici. Lisi va découvrir pas mal de choses sur ses deux compagnons qu’elle ne soupçonnait pas (oui, même sa sœur), et des idées qui vont se confronter de tous les côtés.
Le roman va beaucoup nous parler de politique, d’immigration, de religion, mais de manière très concrète, personnelle, et donc efficace. Un des schémas archi-classique de la littérature Young Adult est évidemment la quête initiatique. Mais, là où le jeune héros « classique » découvrira les responsabilités personnelles, l’amour, l’amitié ou une épée magique qui va lui permettre de se faire manipuler par un vieux barbu, Lisi suit une quête initiatique de sa conscience politique. Son parcours est un voyage entre plusieurs idéologies et conceptions de la vie en société, et s’y confronter va secouer ses convictions et les concepts que son éducation lui a fait accepter par défaut. Zone tampon est un schéma classique que l’autrice a tordu pour donner un autre sens à la trajectoire du « coming of age ».
Lorsqu’on arrive à la fin de l’histoire, on sera surpris de trouver un cahier pédagogique avec plein de notes et de propositions de programme à visée scolaire. Ça éclaire pas mal sur l’aspect jeunesse et sur ce que le fond du bouquin pourrait apporter aux p’tits jeunes qui vont se creuser la tête, tout en restant ouvert à la manière d’utiliser tout ça. Je ne lis pas beaucoup de Young Adult (oui, faut que je creuse un peu plus ce que cache Naos), mais cette manière d’aborder la tranche d’âge et ses enjeux me parait très pertinente, et ça passe très bien même quand on s’approche dangereusement de la quarantaine.
Zone Tampon est donc une aventure post-apocalypse-climatique très efficace dans la forme, accessible, avec un casting irréprochable. Isabelle Bauthian utilise quelques poncifs du post-apo mais les tourne à sa sauce, elle y cache un propos de fond à la fois maitrisé et qui prend pas ses lecteurs pour des nouilles. Une très bonne lecture pour moi, donc.
J’avoue que le post apo n’est vraiment pas mon truc en général (même si ça peut fonctionner, je dis pas, mais juste que ça ne me fait pas vraiment envie sur le papier). Et ne connaissant pas du tout cette autrice, du coup je n’ai rien pour me dire « prend le ».
Bon, si un jour je trouve un de ses ouvrages à la médiathèque j’irai tester 🙂
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