C’est la fête, Albin Michel s’apprête à lancer sa nouvelle collection consacrée à l’imaginaire, la vraie littérature quoi, sous la direction de Gilles Dumay… Hein ? Quoi ? C’est déjà fait ? Ah oui, merde, je suis à la bourre. C’est donc le 26 Septembre dernier que la vénérable maison a tiré sa première rafale avec Anatèm de Neal Stephenson (de la hard-SF bien complexe et complètement pas pour moi), Mage de bataille de Peter A. Flannery (de la fantasy épique classique et complètement pour moi) et enfin celui qui nous intéresse ici : American Elsewhere de Robert Jackson Bennett.
L’ailleurs américain en question nous est vendu avec ce joli bandeau rouge comme un mélange de Kingeries et Gaimanneries, avec un petit bonus Lovecraft pour beaucoup de lecteurs, grosso modo. Mais comme le name-dropping ça éveille toujours la méfiance chez moi, on va plutôt creuser ce qu’il y a dedans. Mona Bright est une femme qui en a bavé, et qui a fini par plaquer son homme, son boulot de flic et tout semblant de stabilité pour vivre sur les routes, rebondir d’un coin à l’autre sans but réel. Mais la réalité va vite la rappeler à elle le jour où le père de la dame claque et qu’elle doit aller à son enterrement. Bon, elle portait pas non plus le bonhomme dans son cœur, mais voilà la surprise du chef, apparemment il lui a laissé une maison dont elle n’a jamais entendu parler, dans un bled nommé Wink, au Nouveau-Mexique. Mona part donc chercher cette ville qui n’est sur aucune carte, parce qu’une maison gratos ça se refuse pas, et elle arrive dans un Wink bien bizarre, tout droit sorti d’une carte postale des années 70, la vie parfaite quoi… Mais à Wink, il y a des règles un peu spéciales à respecter, et des entités cachées qu’il faut pas emmerder.
American Elsewhere m’a un peu fait replonger dans mon adolescence en fait, période où j’ai essoré les bibliographies de Stephen King, certes, mais aussi Dean Koontz, Graham Masterton, Clive Barker, Peter Straub, etc… C’est tout ce bagage de fantastique à l’américaine que traine derrière lui Robert Jackson Bennett. Parce qu’il y a définitivement une vibe old-school là-dedans. L’auteur part sur une trame archi-classique (machin emménage dans une ville chelou qui a de lourds secrets) et tire sur des ficelles bien connues. La ville a un secret partagé par tous ses habitants, elle a été construite autour d’un laboratoire scientifique qui faisait des recherches de pointe, désaffecté depuis des décennies mais on voit bien qu’ils ont du faire de la merde là-dedans. Le voilà votre cocktail : Ville américaine isolée, laboratoire scientifique louche, machins venus d’ailleurs, communauté bizarroïde.
Oui il y a une influence lovecraftienne mais on ne ressent finalement pas cet « incroyable indicible inéluctable dépressif qui te détruit le ciboulot » puisque tout est décrit, expliqué, que les entités ont finalement (et curieusement) des préoccupations et des comportements très humains. Si je devais résumer le ressenti que j’ai eu en lisant ce roman, ça se passe plutôt du côté de Stranger Things (sans le côté « adolescents »), avec son fantastique multi-dimensionnel référencé, nostalgique et un peu désuet. Oui bon OK, c’est joli les comparaisons, mais finalement le bouquin, il est pourri ? Ben non, il est même vraiment très cool. On a une héroïne bad-ass avec un lourd passif, capable et attachante, qui se débat autour d’un mystère qui va bien au-delà de ses compétences. On a une atmosphère vraiment géniale, Bennett s’amuse à orbiter tout autour de Wink pour qu’on sente l’implication de leur mode de vie, tous les acteurs volontaires ou involontaires, les conflits et le passé de tout ce petit monde.
Le lecteur pénètre ici dans un univers complexe, on arrive au milieu d’un gros bordel qui justifie la taille du livre (quasi 800 pages), il y a différentes « factions » qui poursuivent différents buts et se mettent des bâtons dans les tentacules, et on découvre ça progressivement, de manière fluide, terriblement bien gérée. On n’échappe quand même pas à certaines longueurs, surtout en milieu de roman, Robert Jackson Bennett perd parfois son élan pour s’attarder sur des sous-intrigues pas toujours indispensables, des personnages très très secondaires, des éléments d’ambiance. Après ça dépend du lecteur, certains vont aimer flâner pour s’imprégner d’une ambiance et d’autres vont trouver que ça se traine un peu, j’étais plutôt dans la seconde catégorie sans que ça ne gâche complètement la lecture.
C’est le mystère qui nous tient en haleine, ce puzzle géant fantastique dont les pièces sont éparpillées dans les pages, dans le temps, dans cette ville et dans plusieurs dimensions. Dommage que pas mal de révélations arrivent via deux-trois passages de « déballage » qui manquent un peu de fluidité, que ce soit un personnage qui finit par dire « bon, pose-toi là, prends un café, je t’explique » ou un gros document qui détaille point par point ce qui s’est passé. Globalement on a l’impression que l’auteur veux toujours tout expliquer pour être sûr qu’on ait compris, même ce qui se devine à peu près. Mais là je chipote, American Elsewhere n’est pas absolument parfait mais constitue un démarrage très solide pour Albin Michel Imaginaire, une grosse brique de fantastique comme on n’en voit plus tellement, et ça fait bien plaisir.
Livre reçu en service presse de la part de l’éditeur Albin Michel Imaginaire
Lire aussi l’avis de : Apophis (Le culte d’Apophis), Nicolas Winter (Just a Word), Célindanaé (Au pays des cave trolls), FeydRautha (L’épaule d’Orion), Le chien critique, Herbefol (L’affaire Herbefol),
Je suis la première catégorie. J’ai bien aimé flâner dans les rues de Wink, et j’y aurais bien passé plus de temps encore. Par contre je suis d’accord avec le côté déballage. Pour moi le défaut principal est que Bennett explique trop les choses.
Après ça se comprend vu la densité du truc, mais l’équilibre à trouver était subtil
Et bien, il a l’air de faire l’unanimité celui ci 🙂
Y’a juste Herbefol qui est un peu plus mitigé
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Lecture entamée et j’aime beaucoup l’ambiance ainsi que l’héroïne. Je reviendrai te dire si j’ai trouvé quelques longueurs 😉
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Cool de voir que tu as aimé également. Je ne sais pas dans quelle catégorie me situer car flâner ou speeder dépend vraiment du bouquin, certes son ambiance, mais aussi de l’intention de l’auteur. J’aime par exemple le tempo lent de Kay, mais adore tout autant la nervosité de certaine plume comme Gemmell.
Oui, ça dépend aussi de « pourquoi » tu flânes dans le récit. si c’est pour donner des recettes de boulettes pendant 150 pages on s’en fout un peu (quoique…)
Oh misère, je suis la seule à m’être ennuyée snif tout le monde a aimé ce livre lol ^^ je vais me faire taper dessus…
Haha, non, faut être fière de ses avis à contre-courant, ça anime les discussions 😀
En lisant ta chronique, j’ai l’impression que tu aurais préféré un truc d’horreur flippant qui te remue les tripes, c’est clair que celui là est plus axé ambiance et mystère
Oui l’ambiance seule n’est pas suffisante mais je pense aussi que c’est une question de style, je n’ai tout bonnement pas trouvé l’ambiance angoissante du tout
Bon ça suffit avec tous vos avis enthousiastes, j’ai juste pas le temps de lire en ce moment et purée ça me donne tellement envie xD
La même que Vert, je vais le tenter un jour ou l’autre, la question étant « quand ? » !
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Bonne lecture pour moi, j’aime beaucoup les Lovecrafteries. Je n’ai pas été gênée par les explications. Certains auteurs n’expliquent pas, d’autres oui. C’est un choix d’écriture, et ça peut être périlleux avec certains lecteurs de laisser les choses en suspens. Moi j’adore (Christopher Priest forever) mais au final qu’on m’explique ne me gêne pas non plus !
C’est pas forcément le fait d’expliquer qui dérange, c’est la manière de faire, expliquer tout plusieurs fois, et dans un gros bloc bien massif qui te reprend le pourquoi du comment de A à Z pour être sûr. Ça manque un peu de finesse quoi.
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