Le fleuve céleste est la seconde partie du diptyque de Guy Gavriel Kay sur l’empire du Kitai, inspiré par l’histoire de Chine. On serait tenté de dire que c’est la suite des Chevaux célestes, mais à part quelques références et le fait que ça se passe dans le même pays, il peut se lire de manière tout à fait indépendante.
Ce second roman se passe quelques siècles après les aventures de Shen Tai et de ses canassons. L’empire Kitan est devenu gras du bide, les poètes et les philosophes sont vénérés tandis que la force et les activités martiales sont jugées indignes. A la cour de l’empereur, on se lit des poèmes, on fait des jardins et on compare la taille de son coup de pinceau. Pourtant, le jeune Ren Daiyan rêve de combats et de gloire, il rêve surtout de voir restituer à son pays les 14 circonscriptions qui ont été cédées au nouvel empire des barbares des steppes, au nord (les mongols, quoi). C’est par une journée riche en surprises que le jeune homme fera un choix irrémédiable, s’écartant du chemin d’érudit tout tracé pour lui. En parallèle, nous suivrons la jeune Lin Shan, une femme cultivée qui se retrouve à la cour de l’empereur, précisément là où une femme avec un cerveau est quelque peu inconvenant.
A travers le destin de ces deux personnages (et de quelques autres), nous suivrons l’évolution dramatique de tout ce pays qui voue un culte au raffinement, laissant son armée en roue libre, constituée de paysans et dirigée par des clowns. Quand les guerriers du nord commencent à s’agiter sur leurs petits poneys, l’empire prout-prout ne sait plus vers quel poète se tourner. Pourtant il existe encore des hommes courageux autour du trône impérial, mais la diplomatie y est tellement subtile que chaque mot doit être pesé avec soin avant d’atteindre les illustres oreilles de l’empereur Wenzong. Les rivalités dans les ministères, les coups bas et les trahisons peuvent tout faire basculer à tout moment.
Plus encore que dans Les chevaux célestes, Guy Gavriel Kay installe à la cour de l’empereur une ambiance de finesse vraiment bluffante. Le courage des personnages est dans leurs prises de parole, leur vocabulaire, leur posture. Une tasse de thé à la main, tranquillou, ils prennent des décisions qui peuvent amener à leur exécution. Le système de valeur très différent du notre peut déstabiliser mais l’écrivain gère à merveille l’immersion de son lecteur, on comprend les enjeux, les implications de chaque manœuvre politique. Tel conseiller fera preuve de respect en faisant trois révérences tandis qu’un autre sera insolent en s’approchant un peu trop du trône ou en utilisant un mot plutôt qu’un autre plus subtil. Les jeux de pouvoirs sont complexes mais toujours limpides, grâce à une narration qui prend son temps, qui détaille, qui approfondit les notions et les personnages.
Ceux qui cherchent de l’action non-stop s’endormiront un peu sur ce pavé de 700 pages, c’est certain. Le rythme est lent, c’est très atmosphérique, l’auteur nous plonge dans cette Chine fictive en prenant son temps. Mais grâce à ça, chaque personnage est d’une solidité remarquable, ils sont tous complexes et attachants ! Chacun à leur manière, ils défieront les règles de leur époque, se révolteront contre l’autorité ou la fatalité. Dans cette société où il faut pas faire un pet de travers, ça les place directement comme des êtres exceptionnels, et aussi un peu dans la mouise assez régulièrement.
En utilisant l’importance de l’écriture, de la poésie et de l’érudition, Kay explore la place de l’art et du raffinement dans la société. Mais il parle aussi beaucoup d’histoire, de ce qui fait les légendes, ce qui restera dans les mémoires et ce qui sera oublié. Sa narration prend souvent le point de vue de l’historien qui prend du recul et se demande comment sera perçu tel ou tel évènement. Ça amène bien sûr le lecteur à se poser des questions là-dessus et amplifie cette impression de grande saga historique. Le temps suit son cours et les peuples subissent les décisions des puissants, mais personne (ou presque) ne sait où tout ça mènera le pays sur le moment. Trop de paramètres entrent en jeu.
Le fleuve céleste est encore une fois un chef-d’œuvre bien massif. Le lecteur qui se laisse porter par la douce plume de Guy Gavriel Kay partira pour un voyage immersif et prenant, suivant les méandres de l’histoire et des excellents personnages de cette fresque. Évidemment, après ça il va me falloir chercher les livres du monsieur que j’ai loupés, et pourquoi ne pas attendre la réédition des Lions d’Al-Rassan à paraitre le mois prochain, tant qu’à faire ?
Lire aussi les avis de : Apophis (Le culte d’Apophis), Boudicca (Le bibliocosme), Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres), Lutin82 (Albédo),
Excellente critique (merci pour le lien) ! Je plussoie, il faut absolument lire Al-Rassan, pour moi c’est un des chefs-d’oeuvre de Kay. De plus, c’est tout ce que tu as aimé dans les deux livres sur la Kitai, mais en mieux 🙂
Merci ! (je sais toujours pas comment on fait vos « ping » là, faut que je creuse)
J’ai hâte de lire Al-Rassan, en plus si tu me dis que c’est encore mieux, je vais me jeter dessus.
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Tout pareil, ce roman est une merveille !
Et encore tout pareil, je vais me jeter sur la réédition des « Lions d’Al-Rassan » ! Je m’attendais à des rééditions poches, mais bon, faut avouer qu’il font de beaux objets concernant Kay chez L’Atalante. Et je me demande déjà quel roman j’emmènerai avec moi aux Utopiales pour une dédicace (l’auteur sera présent cette année), parce que vu les pavés, c’est délicat d’en emmener plus d’un ! 😀
Si c’est une édition comme les deux « célestes », ça fera nickel sur l’étagère 😀
Pour les salons tu peux faire comme les hardcores sur les festivals BD, ils viennent avec une valise à roulettes pleine pour faire les dédicaces de tout leur stock (bon, ils sont parfois lourds aussi, héhé)
Si tu as adoré celui-ci tu devrais être comblé avec Les lions d’Al-Rassan, c’est surement l’un de ses meilleurs 🙂
C’est pas vrai? Ils vont rééditer les Lions d’Al Rassan! Cool! Je serai présente!
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