En ces périodes électorales, on voit bien que le travail (ou son absence) est au cœur des préoccupations. Devant toutes les incertitudes, les nuits debout, les lois travail et les actions sociales, La Volte a pris les devants et a demandé à un paquet d’auteurs leur vision du travail de demain, et ça donne Au bal des actifs, demain le travail.
A travers 12 histoires d’anticipation, un bien joli panel d’auteurs nous propose de découvrir leur vision de notre avenir, côté boulot. Oui, y’a du beau monde dans le recueil : Stéphane Beauverger, Karim Berrouka, Alain Damasio et leurs copains composent cette belle brochette « All-star » de la SF made in chez nous. Les nouvelles ciblent et extrapolent les tendances du monde du travail d’aujourd’hui pour en faire des récits souvent glaçants, parfois rigolo, toujours plutôt bien vus. Ça nous raconte l’hyper-précarité, l’indignité, la mise en compétition, l’évaluation constante, l’élitisme, etc…
Pour moi, la plus prenante est sans aucun doute Vertigeo d’Emmanuel Delporte qui raconte la construction de tours vertigineuses à plusieurs dizaines de milliers de mètres d’altitude grâce à des ouvriers qui ne voient jamais le sol. Elle est percutante et rudement bien contée, tout en tenant un propos fort. D’autres nouvelles sortent du lot évidemment, comme Pâle Mâles de Catherine Dufour ou coêve 2051 de Norbert Merjagnan, qui arrivent à passer un message pertinent par une narration subtile et bien amenée. D’autres jouent autant avec le fond qu’avec la forme, et parfois ça marche plutôt bien, comme Alive de Ketty Steward, et parfois ça m’est passé complètement au-dessus, ou à côté, ailleurs en tous cas. Plusieurs nouvelles jouent avec le graphisme, la mise en page ou les typos, et l’ebook ne restitue pas tout très bien.
Dans l’ensemble, Au bal des actifs surfe sur les préoccupations de ces dernières années, notamment soulevées par la Loi travail. C’est très focalisé autour de la politique actuelle de notre gouvernement et les tendances des grosses firmes d’aujourd’hui qu’on va extrapoler dans un sens, souvent le même, et c’est peut-être voulu mais c’est aussi ce qui m’a un peu dérangé. Pour un recueil d’anticipation, y’a rien de vraiment surprenant dans le fond. Les grandes problématiques sont globalement les mêmes sur une majorité des textes, on retrouve les problèmes de l’évaluation permanente dans 3 ou 4 nouvelles, le renforcement des écarts entre le commun et les élites dans quasiment toutes, la manipulation des travailleurs aussi, etc… Mais tout ça est très attendu, même si on partage la vision commune des auteurs, aucun texte ne nous retourne le cerveau par son fond, ou une vision qu’on avait pas vu venir.
Quand on enchaine les douze nouvelles en quelques jours, elles se mélangent un peu toutes, elles se recoupent, se répondent, se confondent, surtout parce qu’elles parlent globalement toutes de la même chose, presque de la même manière. Les textes marquants surnagent surtout par leur forme ou leur narration, ou une petite idée sympa planquée dans un coin. Même le texte d’Alain Damasio, s’il est très agréable à lire, finit sur un twist hyper-cliché, voire un peu ridicule. D’ailleurs on sent l’influence de Damasio sur tout le reste, les idées développée dans sa Zone du dehors transpirent clairement un peu partout. La lecture devient un peu ennuyeuse, et c’est sur les deux derniers textes qu’on retrouve le sourire et un côté très ludique : Léo Henry nous propose une réflexion sur le travail d’auteur en mêlant le fond et la forme d’une manière amusante, et David Calvo se lâche pour le bouquet final, lui aussi sur le métier d’écrivain à travers une correspondance surréaliste entre un auteur et ses collaborateurs.
Il faut souligner le côté très cynique et pessimiste de la plupart des textes, vaut mieux passer votre tour si vous êtes plutôt déprimé. Même si certains textes twistent sur une petite note d’espoir, c’est le négatif et l’angoisse qui dominent. Les textes sont très focalisés sur le cynisme des grosses boites, des élites à chaussures pointues, sur une vision très « Paris-La défense » du monde du travail. Ils oublient peut-être un peu vite qu’il y a d’autres villes, des campagnes, des gens qui y vivent et réinventent aussi le monde à leur manière, et souvent plus vers le positif. Mais bon, la SF sur les initiatives citoyennes ou les milliers de gens qui réinventent leur travail de manière constructive, c’est peut-être moins vendeur.
Au bal des actifs : Demain le travail est un recueil au concept très intéressant, avec quelques coups de maitres dans ses pages. Il souffre juste d’une homogénéité des thématiques qui peut lasser même si on partage l’orientation politique sous-jacente du bouquin. On lui collerait bien des stickers #nuitdebout ou #onvautmieuxqueça partout tant il surfe sur ces idées, mais c’est justement là son point faible. C’est attendu, ça manque de folie, d’idées renversante, de vision inédite.
Ce recueil me faisait de l’oeil, les notions de travail est de salariat sont en plein bouleversement, la démarche proposée est intéressante.
Ton retour permet de se faire une bonne idée du contenu. Mais du coup j’hésite encore. J’attendrais sûrement une prix réduit.
Je savais pas trop à quoi m’attendre, je l’ai pris en numérique pour pas que ce soit trop cher.
J’avais un peu peur que les idées se répètent, maintenant je sais à quoi m’en tenir ! Je l’emprunterais plutôt à la bibliothèque par curiosité (et je ne doute pas que Léo Henry & David Calvo puissent redonner le sourire en fin de lecture :D)
J’étais complétement passée à côté de cette sortie, merci donc pour cet article 🙂 La thématique et les auteurs présents au sommaire me tentent beaucoup mais le côté répétitif me refroidit un peu… Je verrais si j’arrive à faire baisser la PAL cet été, on ne sait jamais^^
Je ne l’avais pas vu passer celui-ci. Ça me fait penser à Appel d’air, après les élections de 2007. 🙂
Pour rebondir sur la conclusion, peut-être alors pousser le curseur plus loin : http://www.nonfiction.fr/article-8108-serie__imaginer_la_fin_du_travail_au_dela_de__trepalium_.htm