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La zone du dehors, la horde du contre-pouvoir

La zone du dehors est le premier roman d’Alain Damasio, sorti avant la Horde du Contrevent (dont j’ai parlé ici)… Et après aussi, dans une édition remaniée, c’est celle-ci que j’ai lu et dont je vais parler. Livre de SF dans la forme, livre politique dans le fond, ce roman raconte les aventures d’un groupe révolutionnaire dans une société « démocratique » futuriste mais très actuelle.

Cette société c’est Cerclon, une cité géante installée sur un caillou en orbite de Saturne, regroupant 7 millions d’humains qui ont migré de la Terre après que celle-ci ait été bien pourrie par nos guerres (classique). A Cerclon, toute la société est bâtie sur un système de classement, chaque personne à une place et de celle-ci découlera son nom. Si vous êtes A, vous êtes le président, et si vous êtes zzzzz, vous êtes le dernier des clodos, en gros… Tous les deux ans se tient le Clastre, grande foire à la saucisse où tout le monde est réévalué en fonction de sa productivité, des appréciations de son entourage et de son comportement, et on est donc amenés à changer de nom si on change de place.

Bien sûr, ce joyeux bordel est une société ultra-surveillée et sécurisée, où tous les faits et gestes de chacun sont enregistrés, comparés, classifiés, où tout le monde surveille tout le monde et où votre statut conditionnera les endroits où vous avez accès dans la ville. Et dans tout ça nous suivons captp, slift, brihx et leurs copains de « La Volte », un groupe révolutionnaire qui veut lutter contre cette société à la con pour retrouver un semblant de liberté individuelle et de folie, partant des actions pacifistes gentillettes pour glisser vers des coups d’éclats violents et dangereux.

Passionnant par bien des aspects, la zone du dehors présente une réflexion sur ce qu’est la révolte dans une société moderne où la sécurité et le confort justifient des aberrations sur le plan de la vie privé et de la liberté. Pourquoi se révolterait-on alors qu’on vit dans un confort inédit ? Comment se révolter et contre quoi ? La Volte se pose ces questions et y répond avec un bon gros coup de pied au cul, par des actions symboliques et d’autres beaucoup plus violentes qui frisent le terrorisme, d’où un autre questionnement : jusqu’où on peut aller ? Les parallèles avec notre société moderne sont tellement évidents que le roman apparait comme une critique immédiate de nos villes et nos gouvernements, Cerclon pourrait être une cité de notre époque dont on aurait simplement extrapolé les logiques de consommation et de comportement, c’est très bien construit et très parlant.

Les personnages que nous croisons, tour à tour narrateurs, vont représenter plusieurs facettes de cette réflexion, presque des archétypes de pensée. kamio est le pacifiste éloquent, slift est l’extrême opposé, passionné, violent, brut. Et au milieu Captp joue l’arbitre froid, philosophe engagé, tandis que brihx est le père de famille qui apporte le regard humain à l’ensemble, etc… Alain Damasio donne à tout ce petit monde une flamboyance hors-norme par leurs actions percutantes, leur volonté et leur lutte, certaines scènes d’action sont époustouflantes comme l’assaut de l’antenne de diffusion où slift va gagner toute son épaisseur.

Les points où le livre perd beaucoup selon moi, sont les passages de discussions entre ces coups d’éclats, le roman regorge de longs monologues ou dialogues entre les héros pour pousser à la réflexion, argumenter, débattre sur la société et justifier les actions de « La Volte ». J’ai trouvé ces passages parfois géniaux, parfois longs, parfois touchants, et globalement beaucoup trop présents, au point où ça nuisait à la fluidité de l’aventure. J’avais l’impression que l’auteur ne me laissait pas assez la possibilité de me faire ma propre réflexion sur le sujet, il donne tous les arguments, les contre-arguments, les cheminements de pensée de A à Z et leurs implications. Ceux qui cherchent plus un livre-réflexion-débat philosophique seront peut-être beaucoup plus réceptifs, mais moi qui aime plutôt une aventure percutante et fluide, j’ai trouvé le bouquin bien trop bavard sans pour autant être en désaccord avec le propos général.

Ce roman fait constamment écho à La horde du Contrevent, on retrouve des embryons de structure (l’alternance rapide des narrateurs), des modèles personnages qui y renvoient directement (les membres du bosquet se retrouvent facilement dans la 34e horde). Le langage est similaire, très important, les envolées de prose des différents narrateurs montrent tout l’attachement de l’auteur à la langue française, à ses jeux de mots, de sonorités et de sens. Et enfin le fond de la réflexion sur le but de nos vies, notre rôle dans la société et la liberté de choix, on peut le lire en filigrane dans la Horde et il est ici présent en bien plus explicite et premier degré, moins métaphorique. La zone du dehors en est à mi-chemin entre le brouillon et l’explication de texte par rapport à son successeur, qui en est presque l’aboutissement, la synthèse et la quintessence, mais à un niveau bien supérieur selon moi.

Mais s’il est marrant de regarder ces deux œuvres en parallèle, La zone du dehors se suffit largement à lui-même. Finalement, je trouve que derrière son style ampoulé, son trop-plein de débats et de réflexions politiques, Alain Damasio touche à la perfection quand il redescend les deux pieds sur le sol, les genoux dans la boue, qu’il oublie un peu le cerveau et raconte avec les tripes, quand l’action reprend les commandes et qu’il ne reste que la rage, la peur ou l’espoir.

Lire aussi l’avis de : Boudicca

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Cet article a 7 commentaires

  1. Healaran

    Salut à toi l’ours,
    Je viens de terminer (et adorer) la Zone du dehors et suis tombé sur ton site en cherchant son successeur pour mes lectures. Je reviens de la Fnac avec la Horde du contrevent en étant rassuré sur la qualité du contenu.
    Merci à toi pour ton site que je vais feuilleter régulièrement maintenant.
    PS : j’adore ton style, ton humour et ta subjective objectivité 🙂

    1. L'ours inculte

      Merci pour ton retour, et j’espère que la Horde t’enchantera autant que moi. Bonne lecture (bon vent, héhéhé)

  2. scorsipa

    Bonjour , j’ai un exposé faire sur ce livre, malheureusement je ne suis pas faner j’ai du mal a comprendre j’aurai alors quelques questions pour améliorer ma compréhension :

    qu’est ce que « la volte » un lieu ? un univers ?
    Que dénonce finalement Damasio ?
    Quel est le but de Capt(p) et boule de chat au début du livre ?
    qui sont le puissants qui gouverne ?

    merci de votre réponse

    1. Bonjour,

      Vu vos questions, c’est à se demander si vous avez ouvert le livre. Ou si vous avez même lu la chronique que vous commentez (vu que les réponses y figurent en grande partie, c’est la moindre des choses).

      « qu’est ce que « la volte » un lieu ? un univers ? » -> « Et dans tout ça nous suivons captp, slift, brihx et leurs copains de « La Volte », un groupe révolutionnaire qui veut lutter contre cette société à la con pour retrouver un semblant de liberté individuelle et de folie, partant des actions pacifistes gentillettes pour glisser vers des coups d’éclats violents et dangereux. »

      « Que dénonce finalement Damasio ? » -> « Passionnant par bien des aspects, la zone du dehors présente une réflexion sur ce qu’est la révolte dans une société moderne où la sécurité et le confort justifient des aberrations sur le plan de la vie privé et de la liberté. Pourquoi se révolterait-on alors qu’on vit dans un confort inédit ? Comment se révolter et contre quoi ?  »

      Mon premier conseil est quand même de lire le livre si vous devez en faire un exposé, c’est un bon début.

  3. Arthur

    Merci beaucoup, j’avais la flemme de lire le livre mais j’avais un résumé a faire avec mon avis, je me suis beaucoup aider de ce que tu as mis ( j’ai enlever tout l’humour vu ma prof mais g bien ris !!!!), j’adore ton site en tout cas.
    Merci

  4. Arisa

    Bonsoir, je n’ai pas lu le livre mais j’ai entendu parler de cette notion de « volution ». On m’a dit qu’il s’agissait de ne pas être dans l’extrême et de faire une révolution mais plutôt de faire une « volte », qui est une prétendue révolution mesurée qui n’est pas dans la totale opposition. Pourtant, en vous lisant j’ai compris (peut être mal) qu’il s’agissait d’agir avec des moyens extrêmes. Pouvez vous m’éclairer ? Est ce qu’on m’a mal renseigné ? Je suis confuse…