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Tè mawon, Cyberpunk d’ailleurs

Mon petit plaisir c’est souvent de ressortir un roman qui a fait l’actu et de le lire des plombes après tout le monde, ça aère la PAL et comme ça je te surprends, chère lectrice ou cher lecteur. Bon l’archéologie ne remonte pas si loin non plus, mais à l’échelle d’internet, un an c’est une éternité. Tu te souviens de Tè Mawon ? Attends, je te rafraîchis la mémoire.

Lanvil, cité hors-norme qui a recouvert l’archipel caribéen et quelques bouts du continent de béton et s’élève couche après couche. Ses habitants ont oublié que sous les constructions humaines, il y avait de la terre, mais certains poursuivent le rêve de retrouver un peu de cette Terre d’avant. Il y a Pat qui gère ses petites affaires dans les bas-fonds, Joe et Patson qui vont de galère en galère à la recherche de la copine du premier, Ézie et Leonia les deux sœurs « traductrices » qui se détestent. Mais tout se petit monde va converger, retourner cette ville pour en percer le béton.

Tè Mawon est par bien des aspects un cyberpunk archi-classique puisqu’on en retrouve les marqueurs essentiels voire caricaturaux, méga-corporations, transhumanisme, réseau omniprésent, la séparation binaire et physique entre des beaux quartiers (l’anwo) et les taudis (l’anba), etc… Mais Michael Roch le fait sien en jouant de ces clichés pour les faire à sa sauce. Et sa sauce elle vient de loin, puisque l’auteur nous balance à la figure son « game-changer » : La SF caribéenne. Lanvil est une mégapole dans les Caraïbes, et retourne donc pas mal de poncifs occidento-centrés en rééquilibrant les choses.

Tè Mawon est une grande fête de la diversité ethnique, en brassant des personnages de toutes origines qui ont atterri dans cette cité cosmopolite, l’auteur redonne une belle place aux peuples afro-descendants dans la SF mais pas que, y’a un joyeux mélange qui donne beaucoup de vie au bouquin. Selon les points de vue des chapitres, on va avoir droit à plus ou moins de créole, et certains ont décrit ça comme un frein à la lecture mais j’ai pas trouvé ça compliqué. L’auteur y va assez subtilement pour qu’on comprenne la plupart des termes dans le contexte, et de toutes façons on « entend » la phonétique qui se rapproche du français dans beaucoup de cas. Mais on a aussi le point de vue de Joe le marseillais et là j’étais comme à la maison avec le petit argot de chez moi ! Le langage est là dans la forme mais aussi dans le fond puisque par exemple Roch donne au terme de « traductrice » un sens qui va au-delà de la simple adaptation. Y’en a des couches mais je vous laisse découvrir tout ça, j’ai la flemme de faire une analyse de 10 pages, et c’est jamais le but ici.

Tè Mawon est super plaisant à lire, ça fourmille de partout, ça creuse les idées et les concepts un peu dans tous les sens dans une aventure au rythme soutenu. On parle des peuples, des technologies, des origines, des langues, de la famille aussi. Mais sur ses 200 pages ça donne un roman où la forme et l’exploration des idées prend le pas sur l’histoire « premier degré » qui reste somme toute assez basique. Et ça c’est quelque-chose qui, personnellement, m’accroche moins qu’une histoire très accrocheuse avec un sous-texte qui arrive comme la cerise sur le gros gâteau tout plein de sucre. Et c’est ce qui me dérange souvent en SF, quand le sous-texte, le commentaire sociétal, la projection, prennent le pas sur l’histoire, sur la trajectoire des personnages. C’est un goût très personnel et d’autres vont adorer la SF spécifiquement pour ces choses-là donc, je vais pas dire que c’est un défaut, mais un truc qui moi me convient moins. Peut-être que le Michael Roch plus premier degré de l’époque Mortal Derby X me convenait plus, même si je le retrouve dans ce texte à de nombreux moments. Pourtant ça n’enlève rien à toutes les qualités du bouquin que j’ai pu apprécier quand même, c’est juste une petite réserve perso.

Tè Mawon est un coup de pied dans la SF, il est à un équilibre majestueux entre les gros poncifs du cyberpunk et une vision toute autre qui retourne le tout pour en donner une vision neuve. Court, percutant, fourmillant, dans le fond et dans la forme il mérite clairement le détour même si personnellement j’aurai aimé m’attarder un peu plus sur les personnages et leur parcours et un peu moins sur l’environnement et les idées. On va quand même pas bouder le plaisir de ce vent des Caraïbes qui nous souffle dessus et change les perspectives.

Lire aussi l’avis de : Alias (Blog à part), Marc Ang-Cho (Les chroniques du chroniqueur), Stéphanie Chaptal (De l’autre côté des livres), Laird Fumble (Le syndrome Quickson), La geekosophe,

Couverture : Corinne Billon
Éditeur : La volte
Nombre de pages : 215
Date de sortie : 10 Mars 2022
Prix : 18€ (broché) / 9,99€ (numérique)

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Cet article a 2 commentaires

  1. Shaya

    Je ne peux qu’approuver ton petit plaisir, c’est parfait pour me remettre en mémoire des titres repérés à leur sortie et un peu oubliés après, parce que mémoire de poisson rouge tout ça tout ça ! Merci !