On se dit souvent qu’il faut se méfier des auteurs qui t’envoient leur tout nouveau bouquin édité par une boite inconnue. Les trois quarts du temps ils te proposent quelque chose dans un style qui n’est pas du tout ton genre le prédilection (genre j’ai pas lu ton blog). Sur le quart qui reste, les résumés sont blindés de gros clichés qui te font refuser directement le truc. Mais parfois y’a une exception, bien ciblée, ça a l’air pas mal, et t’y vas…
Il faut dire que Jérôme Nédélec n’est pas tout à fait un inconnu pour moi puisque j’avais particulièrement apprécié sa nouvelle parue dans le recueil Star Ouest de l’association ImaJn’ère. Donc quand le monsieur me propose de chroniquer son roman Les frontières liquides, que ça parle de vikings et de bretons qui se tapent dessus au IXe siècle, et qu’il contient une petite touche de fantastique, alors là oui, j’me dis que ça peut me plaire. Ce roman est le premier tome d’une trilogie baptisée L’armée des veilleurs, et nous raconte le face-à-face entre deux groupes armés : d’un côté nous avons les bretons qui défendent leur terre, et de l’autre des vikings qui aimeraient bien piller celle-ci avant de rentrer, parce que c’est leur style à eux. Les frontières liquides du titre ne désignent pas une boisson alcoolisée qui nous ferait passer dans un autre monde (quoique…), mais les fleuves bretons qui serviront de ligne de front naturelle à notre conflit.
Alors qu’on s’attendrait peut-être à trouver des combattants en mode « celtes » à la Jaworski (du moins pour les quiches en Histoire comme moi), il n’en est rien. Au IXe siècle, le christianisme a déjà bien grignoté les croyances païennes et la plupart des locaux sont convertis au culte du pitit Jésus. De ce côté du conflit on a donc des petites intrigues politiques qui mêlent les Tierns locaux aux instances religieuses en place, et dans la boue on a les troufions qui montent des palissades, des recrues inexpérimentées et des soldats qui font avec les moyens du bord. Côté bourrins du nord c’est plus une histoire de famille et de pillages, d’escouades d’éclaireurs qui foutent le bordel façon guérilla forestière. Mais ils ont aussi leur petites embrouilles à eux, avec les différents « clans » d’hommes du nord qui se tirent la bourre.
Pour découvrir ce conflit, le lecteur suivra alternativement les deux camps avec une narration à la première personne du point de vue de deux héros. Chez les bouffeurs de crêpes on accompagne le second de la garnison chargée de défendre le gué du fleuve qui va faire au mieux avec les alliés qu’on lui donne. De l’autre côté nous suivrons un guerrier alcoolique et vieillissant qui est chargé de déblayer le terrain pour les troupes qui arrivent. Il est accessoirement le frère du chef, ce qui lui donne un point de vue un peu particulier mais bien équilibré entre le côté purement guerrier sur le champ de bataille, et tous les aspects un peu politiques du conflit. Que ce soit dans un camp ou dans l’autre, Jérôme Nédélec s’applique à nous faire vivre ce combat au milieu des troupes, avec des héros et leurs entourages très bien mis en place et attachants. On a pas mal de personnages secondaires traités avec soin, qui prennent vie, et prennent aussi des mandales.
La construction change de narrateur à chaque chapitre, ce qui a l’avantage de nous donner le point de vue de chaque camp alternativement, mais au début on a un peu de mal à retrouver ses petits. Heureusement, on s’habitue finalement assez bien à ce rythme et avant la moitié du bouquin on a tous les ingrédients en tête. Puis ça tombe bien puisque c’est par là que les deux camps se rencontrent vraiment et que tout se mêle. Quand les deux narrateurs observent les mêmes évènements, on a droit à des jeux de points de vue amusants où l’un des deux voit une bataille en en comprenant la moitié, et quelques chapitres plus loin on découvre l’autre version qui décrit la même scène. Comme les deux peuples parlent pas la même langue ça donne des épisodes décalés assez marrants dans une narration en forme de petit puzzle.
Au final, j’ai trouvé Les frontières liquides très agréable, à la fois historiquement solide (Monsieur Nédélec est passionné par cette période et cette région, ça se voit), avec des dialogues vivants, des personnages humains et des péripéties intéressantes. On a droit à quelques scènes de combats bien pêchues parce qu’il faut bien salir un peu ces lances et ces boucliers. On manque peut-être un tout petit peu de souffle épique à mon goût, de moments de tension absolue qui vous font monter le palpitant et gravent une scène dans vos mémoires. C’est un choix, l’auteur a préféré une orientation vers du combat crédible et des troupes humaines, ce qui a son intérêt aussi, ne crachons pas dans la soupe.
Le côté fantastique évoqué plus haut se manifeste dans des petits chapitres intermédiaires qui viennent se greffer au milieu de temps en temps. On y suit une petite fille étrange qui a quelque-chose de spécial, et un but mystérieux qui la mènera au milieu du champ de bataille. C’est là qu’on sent que la trilogie va aller plus loin que juste « des bretons et des vikings qui se tapent dessus » (oui, je m’auto-cite, je fais ce que je veux…). Tout ça mis bout à bout, on arrive à un mélange entre Les héros d’Abercrombie en moins gritty, et Les rois du monde de Jaworski en moins mystique. Oui, j’envoie de la grosse référence pour donner une idée du ton. Même si on arrive pas (encore) à l’excellence de ces deux mastodontes, Les frontières liquides est un premier roman très recommandable et intriguant, qui plonge le lecteur dans une ambiance guerrière historique crédible et fun, on y croise des bons bourrins avec qui on a bien envie de vivre encore des aventures, hache dans une main et le bouquin dans l’autre.
Maintenant, est-ce qu’on peut parler de la couv’ ? Non parce que, j’aime pas les couvertures photo-montées à la base, soit… Mais le guerrier là, il nous fait une moue langoureuse de mannequin constipé, et avec cet étalonnage de roman à l’eau de rose ça fait vraiment bizarre. Faites péter le contraste, les enfants. Foutez de la rage, de la boue et du sang, un peu de graphisme stylisé, allons y’a de quoi faire ! Mais là on dirait Danielle Steel chez les vikings… « Oh, Olaf, que vous avez une belle hache ». C’est très dommage monsieur l’éditeur.
Si vous voulez aller plus loin, L’armée des veilleurs est en fait un projet transmédia un peu plus large qui a récolté quelques pièces sur un financement participatif réussi. Ça donne un roman mais aussi un site web, des vidéos, de la musique, des recettes de cuisines (?).
Bouquin aimablement envoyé par l’auteur, merci à lui.
Il y a quelques très bons auteurs dans les « pas très connus » au sein des anthos ImaJ’nère. Je vais attaquer le bouquin de l’un d’eux dans quelques semaines, et je pense qu’il y a peu de chances que je sois déçu.
Concernant la couv’, c’est pas faux, mais moi à la rigueur c’est plus le titre du roman qui me pose problème, il ne claque pas vraiment, je trouve. En tout cas, tout ça mis à part, ça m’a l’air intéressant, merci pour ta critique.
Ah, c’est tellement vrai pour les propositions de SP d’auteurs / éditeurs (d’) auto-déités / pas du tout connus. Sur la page où on peut trouver l’adresse mail pour me contacter, il est clairement précisé que je ne lis pas d’auto-édités (ou un tous les deux ans, disons, à comparer avec les 85-100 bouquins chroniqués chaque année…), et tu sais quoi ? La majorité des propositions de SP que je reçois concernent… des auto-édités ou de la light fantasy (alors que j’ai du en chroniquer deux livres en quasi-deux ans de blog et que j’ai clairement précisé que je ne suis pas fan à la base).
Ouais, le titre n’est pas très vendeur effectivement, à part faire des blagues sur l’alcool ça inspire pas vraiment de l’épique.
Pour le moment je suis pas non plus submergé de demandes de chronique mais dernièrement j’ai eu du techno-thriller tom clancyesque et de la fantasy poétique atmosphérique… Tout à fait mes univers…
Je reçois aussi beaucoup de demande (mais j’avoue je n’ai pas précisé que je n’en prenais pas ).
Après celui ci à l’air sympa !
J’avoue que je m’y serais pas intéressé à cause de la couverture (il fait une tête bizarre même si je n’irais pas jusqu’à parler de couverture de roman sentimental xD) mais maintenant je note on verra bien, le souci avec les livres auto édités c’est de les trouver ensuite, pas évident mais il ne faut jamais dire jamais 😛
Ah celui-ci n’est pas auto-édité, c’est édité chez Stéphane Batigne qui est un peu spécialisé dans le breton.
Mais ouais, ils ont pas choisi la meilleure couv’, le sujet est là, mais l’ambiance et l’intention c’est autre chose.
Je te suis sur la couv qui ne m’inspire pas vraiment. Même avec photo-shop ont peu faire un peu plus dans le thème… Le titre n’est pas non plus génial. J’ai cru un instant qu’il s’agissait non pas d’un roman mais une rencontre/animation arrosée…
Pour le reste, cela semble très prometteur et cela donne envie de le lire.
Il ya au moins le Troll qui adore cet univers!!!
ça donne envie ! La période est intéressante et le traitement à l’air bien mené. Il ne faut pas s’arrêter à la couverture, effectivement ! 😀
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