Dans mes quelques excursions au cœur du milieu surpeuplé des thrillers et autres policiers, je me suis dit que j’allais repartir sur une vieille série classique qui a fait ses preuves et Jack Reacher, de Lee Child, m’avait tout l’air d’être le bon candidat. Seul souci : les premiers tomes ont l’air bien compliqués à trouver car non réédités (25 balles le poche et 100 balles le grand format de Du fond de l’abîme sur Priceminister, youpi).
J’ai donc préféré prendre le livre audio en anglais, au moins j’avais pas l’impression d’être le gros pigeon d’un opportuniste qui veut refourguer son vieux roman tout corné. Killing Floor donc, écrit par Lee Child et sorti chez nous en 1997, raconte la première aventure de Jack Reacher. Au début du livre, nous rencontrons ce bon vieux Jacques alors qu’il vagabonde tranquillement dans un petit bled, Margrave en Georgie. Errant sans véritable but, il a décidé de s’arrêter dans cette petite ville presque par hasard. Au petit matin, en plein petit dej’, voilà que les flics de la ville débarquent pour l’arrêter : On a retrouvé un corps pas loin, et Jack a été vu à proximité des lieux, et on aimerait bien l’interroger. Bon, notre « Hobo » se dit que c’est pas grave, l’histoire de quelques heures, le temps de vérifier son alibi et on va le relâcher.
Évidemment, ça ne sera pas aussi simple. Jack se promène sans papier, personne ne sait d’où il sort, et le lecteur découvrira qui est ce personnage en même temps que les inspecteurs. Et le meurtre dont il est accusé révèlera également une histoire beaucoup plus complexe qu’un simple règlement de comptes dans une allée sombre. La première chose que j’ai appréciée dans ce livre, c’est justement ce héros mystérieux. Découvrir petit à petit qui est ce narrateur bourru est très plaisant, au début nous n’avons aucune idée de qui il est vraiment et je me garderai bien de trop en dire ici sur son passé. Nous suivrons donc ce Jack Reacher dans une enquête qui lui tombe dessus par hasard, et sa seule préoccupation est tout d’abord de sortir de cette prison et de les laisser se débrouiller avec leur macchabée. Mais encore une fois, ça ne sera pas aussi simple.
Toute la première partie du roman est vraiment marrante parce que Jack est emprisonné et on lui pose des tas de questions, et c’est de sa cellule qu’il va reconstituer les premières pièces du puzzle, pêchant des informations pendant ses interrogatoires et observant le manège des policiers qui courent partout dans leur bureau. Y’a un côté très amusant à voir l’enquête policière déconstruite et rafistolée depuis la pièce du fond par un presque-clodo mystérieux. Bien sûr, petit à petit nous apprendrons qui est vraiment Jack, il finira par reprendre l’enquête à son compte pour aller au bout des choses de manière pas très conventionnelle, aidé par Finlay et Roscoe, deux flics du coin.
L’enquête les plongera en plein milieu d’un complot très bien ficelé qui implique la ville entière, on prend beaucoup de plaisir à les voir farfouiller et déduire, se méfier de tout le monde et reconstituer toutes les pièces du puzzle. Mais Lee Child ajoute aussi un côté « action » à son roman, son héros sait se battre et ne se laisse pas intimider. J’avais parfois l’impression de lire une novélisation de cop-movie américain des années 90, une histoire de flics violente et complexe, un L’arme Fatale à la campagne. « A la campagne » parce que Margrave est vraiment une petite ville où tout le monde se connait et où personne n’a vu de meurtre depuis 30 ans. Cette ambiance de bled paumé du sud des États-Unis fait partie intégrante de l’identité du roman, et elle est très bien mise en place.
Sur le livre audio, la lecture de Dick Hill colle vraiment bien à son sujet. Sa voix grave et posée est parfaite, et il pose un accent bien travaillé sur les personnages du coin, nous propulsant en Géorgie dès qu’on entend un dialogue. Il appuie certains mots ou laisse trainer des syllabes de manière un peu exagérée pour donner cette touche du sud très convaincante. Bien sûr, sur les personnages féminins l’effet est moins réussi, il a tendance à forcer un peu trop là-dessus, mais sur Finlay par exemple, il est excellent.
C’est peut-être aussi sur les personnages féminins que réside le défaut du livre, enfin surtout sur Roscoe. Même si elle est compétente et très intelligente, elle tombe évidemment dans le cliché de la jolie nana que le héros va séduire, sexualisée dès le début, on l’imagine débarquer avec un panneau « love interest » autour du cou. C’est con mais ça correspond sans doute à une volonté de l’auteur : Du fond de l’abîme est pratiquement un amas d’archétypes de films américains bien agencés, mais années 90 oblige, on est pas encore sortis de certains gros clichés. J’espère que l’auteur a nuancé cet aspect-là sur les tomes suivants (une vingtaine à ce jour, et ça continue).
Malgré ça, nous avons un roman solide avec une intrigue très bien ficelée et un héros bad-ass en diable. Un démarrage réussi pour la série Jack Reacher qui me pousse à prendre la suite directement, en espérant qu’un éditeur français rééditera un jour ces premiers romans pour tous ceux qui sont réfractaires à l’anglais et veulent pas claquer une fortune.