Après La chanson d’Arbonne, on continue la lecture commune Guy Gavriel Kay avec cette fois-ci Voile vers Sarance, dernière réédition en date de chez L’atalante pour l’écrivain canadien, et premier tome d’un diptyque. Cinquième roman lu, toujours le même principe, un contexte historique réel, on change les noms et les lieux, et on raconte une histoire originale, vous commencez à connaitre la recette Kay.
Crispin de Varène est un mosaïste un peu bourru qui pose ses petits cailloux tranquillou avec son associé Martinien, quand ce dernier reçoit une missive inattendue. L’empereur Valerius convoque Martinien à Sarance pour réaliser la mosaïque du grand sanctuaire qu’il fait construire. C’est un honneur qui ne se refuse pas, mais Martinien il est vieux, il a la flemme, alors il pousse Crispin à partir à sa place. Notre protagoniste part donc vers Sarance avec une convocation impériale qui n’est pas la sienne, il serre un peu les fesses quand même, tel un Numerobis qui se présente devant Cléopatre. Voile vers Sarance va nous raconter tout d’abord le voyage de Crispin, parce qu’il y avait pas le TGV à l’époque donc ça prend un peu de temps, puis l’arrivée et les intrigues qui en suivant dans la capitale.
Donc Sarance, c’est Byzance/Constantinople, capitale de l’empire roman d’orient quand tout le reste de l’empire se casse un peu la gueule. C’est la grande capitale luxueuse d’un empire qui part en lambeaux et comme d’habitude, l’écrivain nous immerge complètement dans le contexte historique avec force détails et aspects de cette civilisation. On va nous parler du service postal, des courses de char, des castes qui régissent la cité, etc… L’immersion historico-fictive est toujours une des énormes qualités de l’auteur, qui fait sa richesse. Mais le prix à payer en général est que ses romans mettent beaucoup de temps à démarrer. Là c’est encore plus vrai qu’on est sur la première partie d’un diptyque, donc ça met non seulement du temps à se mettre en place, mais on est pas complètement récompensé non plus.
Lors de son voyage (la première moitié du bouquin), Crispin va connaitre des péripéties et rencontrer des alliés, on a une petite galerie de personnages qui vont se greffer au mosaïste en traversant des régions pas toujours très civilisées. Nous aurons Kasia l’esclave de l’auberge, Vargos le guide bourrino-stoïque, Carrulus le militaire un peu con mais brave. La découverte de l’univers est impressionnante, le Jadisme (l’équivalent du christianisme) s’oppose aux anciens cultes mais aussi a ses propres dissensions. Et ensuite, l’arrivée à Sarance nous plongera dans les intrigues politiques et les manœuvres sournoise qui vont tomber sur la figure du pauvre mosaïste, et également l’importance sociale de l’hippodrome et des jeux (avec une scène de course grandiose).
Le roman est très riche et passionnant par bien des aspects, ça part parfois dans tous les sens mais la plongée dans Sarance est à coup sûr un beau voyage. Pourtant, Voile vers Sarance est peut-être la lecture de Kay qui m’a le moins emballé. Le seul gros défaut ici, subjectif assurément, c’est mon attachement au protagoniste qui a frôlé le zéro, et également les reste du casting qui peine à convaincre. Crispin est un artisan qui a perdu sa famille pendant la peste, il est parfois très bourrin, et parfois très subtil, surtout une fois dans le monde politique de Sarance. Mais il apparait surtout très froid, à part les souvenirs de sa femme et ses filles, on a très peu d’implication émotionnelle avec le bonhomme. Et le reste du casting est un peu fade aussi, le coup de l’esclave (sexuelle) prise en pitié par le héros, aujourd’hui ça fait un peu rigoler, même si oui le bouquin a plus de vingt ans.
Une fois à Sarance, on est immergés dans tous les complots qui gravitent autour de Crispin. Il va jouer finement pour tirer son épingle du jeu et on a quelques scènes de joutes verbales avec beaucoup d’enjeux qui se croisent, des dialogues tout à fait jouissifs, dont les non-dits et les révélations en cascade impressionnent. On se demande tout de même pourquoi tous les puissants de Sarance se disputent autant d’influence autour de l’artisan qui débarque pour décorer le plafond, ça semble un peu surréaliste. Pire, toutes les femmes ont l’air de lui faire du gringue, c’est à des fins politiques (même si tu comprends pas pourquoi) mais c’est tellement systématique que t’as un peu l’impression de lire la version antique d’une intro de film porno avec le plombier subtil qui débarque chez madame en nuisette.
Voile vers Sarance est donc un aller simple vers une Byzance romancée, un roman immersif, érudit et riche comme sait si bien le faire Guy Gavriel Kay. Mais il manque pour moi de personnages vraiment attachants pour m’accrocher complètement, et le découpage en deux tomes m’intrigue. Est-ce qu’il a tout gardé sous le coude pour la suite ? Vous le saurez au prochain épisode de la Mosaïque Sarantine.
Lire aussi l’avis de : Elhyandra (Le monde d’Elhyandra),
Très chouette chronique qui met de bonne humeur le matin j’entends beaucoup parler de cet auteur mais je n’ai pas l’impression qu’il soit fait pour moi quand je te lis.
Merci !
En tous cas faut être dans l’ambiance, d’humeur calme et « exploratrice » pour apprécier
Je pense qu’il a toujours des expositions très très très longues le Kay. Je ne sais pas par exemple si j’aurais apprécié La Chanson d’Arbonne si je n’avais lu que la première moitié (parce qu’il était coupé en deux).
A voir pour la suite quoi.
Oui voilà, puis j’ai l’impression qu’il s’étale en profitant de la place donc c’est encore plus éparpillé
J’apprends donc qu’il existe des GGK moins convaincants. C’est rare de voir ça tant j’ai l’impression que tout le monde est toujours super enthousiaste. Je vais me noter de ne pas commencer par celui-ci du coup.
(excellent titre de chronique – comme souvent, mais là encore plus)
Merci !
Oui, il est faillible, simple mortel
C’est marrant je trouve que c’est un des romans de l’auteur où les personnages sont les plus attachants (je garde un souvenir très marquant de Crispin, Linon et de l’impératrice). Mais après c’est peut-être parce qu’il s’agit d’un des premiers Kay que j’ai lu il y a longtemps 🙂
Ah ben comme je dis, c’est absolument subjectif
Hey hey, le TGV c’est quand même une bonne invention mais il nous arrive moins de truc et on a moins de chance de mourir et de se faire attaquer en chemin aussi faut dire ^^
Des années que je me dis qu’il faut que je continue à lire GGK. Bon peut-être pas celui-là alors (quoique le faux empire byzantin ça me botte bien en fait).
« t’as un peu l’impression de lire la version antique d’une intro de film porno » ça vend pas du rêve tout ça xD
Je fais bien de rattraper mon retard dans tes critiques : je ne sais pas si je préfère le titre ou la référence plombière… 😀