Après sa trilogie fils-des-brumes (qui n’était manifestement que l’échauffement), il était temps de passer à l’œuvre maitresse du petit prodige Brandon Sanderson, son « c’est l’œuvre de ma vie je bosse dessus depuis 20 ans ». On aurait pu penser qu’il s’était un peu calmé avec les pavés mais c’était bien mal connaitre le bonhomme. Tiens, prends-toi tes 1800 pages de La voie des rois dans les gencives.
Roshar est un continent balayé par les tempêtes et recouvert de roches, où plusieurs nations cohabitent tant bien que mal. Depuis le meurtre du roi Gavilar par un combattant mystérieux six ans plus tôt, les peuples Aléthis se sont lancés dans une guerre de vengeance contre les Parshendis qui ont commandité l’assassinat. Ils se livrent des batailles rapides et meurtrières sur les plaines brisées, une étendue de caillasse fissurée par d’énormes gouffres. Dans ce bordel nous suivrons principalement les trajectoires de trois personnages. Le plus mis en avant est Kaladin, un ancien soldat réduit en esclavage par son propre camp et condamné à travailler dans l’équipe des ponts, une escouade sacrifiable qui est chargée de porter d’énormes passerelles en bois par-dessus les gouffres à chaque attaque. En première ligne et désarmés, la survie dépasse rarement quelques semaines.
Dalinar est un des dix haut-princes Aléthis, héros vieillissant et porteur d’une des rares armures d’éclat héritées des antiques chevaliers radieux. Il mène la guerre de vengeance aux côtés du nouveau roi et d’autres haut-princes mais commence à douter. Son entourage le considère affaibli et à moitié fou, rongé par ce vieux bouquin qu’il étudie sans arrêt comme Gavilar dans ses derniers jours. Enfin, Shallan est une pâle-iris dont le père vient de mourir. Avant que ses créanciers leur tombent dessus, elle et ses frères échafaudent un projet fou pour renflouer les caisses familiales et sauver leur maison : Shallan va devenir l’élève de Jasnah Kohlin la savante hérétique et lui voler son spiricante, une pierre magique capable de transformer la matière. On accompagnera d’autres personnages dans des chapitres de transition servant à enrichir le monde, et certains passages nous emmèneront aussi aux côtés de Szeth, l’assassin mystérieux et torturé.
Ces deux paragraphes ne sont qu’un petit aperçu de l’univers que nous a concocté Sanderson dans les Archives de Roshar. L’auteur nous avait montré ses talents de bâtisseur de monde dans Fils-des-brumes mais à côté de ce qu’on à ici, sa première trilogie c’était Tom-tom et Nana au zoo. On a un univers original et cohérent, avec sa faune, sa flore, sa mythologie, sa politique, ses différents systèmes de magie, ses innombrables personnages… J’ai adoré le sentiment de dépaysement que son monde apporte, parce qu’on est pas sur une base trop évidente de civilisation connue comme souvent en fantasy. Les archives de Roshar construit un monde inédit avec plein de petits détails qui le rendent vivant, ces plantes qui s’abritent de la tempête, ces sprènes qui se manifestent à tout moment, ces animaux étranges, son système de classes sociales complètement arbitraire (l’est-il vraiment plus que chez nous ?) basé sur la couleur des yeux… En plus, le livre contient quelques pages de croquis pour donner une idée encore plus précise de tout ça.
Le contenu du roman est vraiment passionnant. Il délivre une réflexion intéressante sur la guerre, vu à la fois par la piétaille et par le commandement. Une grande partie des conflits viennent de l’ignorance, de la peur de l’inconnu autant que de la tradition guerrière sans se poser vraiment de question. Et quand on commence à observer l’adversaire sauvage d’en face, à avoir de l’empathie pour lui, c’est le début des questionnements, des doutes. L’auteur nous plonge au milieu d’une intrigue complexe, dans un univers mystérieux dont il ne livre les clés qu’au fur et à mesure. C’est simple, à la fin des deux pavés on sent qu’on n’a fait qu’effleurer le bousin, plein de questions restent en suspens à propos de l’univers, de son fonctionnement et de sa mythologie. On apprend même que Roshar appartient bien à l’univers Cosmère dans lequel se passe les autres romans de l’écrivain, on voit pas encore bien comment tout ça se connecte. Si vous voulez vous rendre dingue vous pouvez jeter un œil au wiki anglophone des Stormlight Archives, n’allez pas trop loin si vous êtes pas à jour parce que ça peut spoiler mais c’est édifiant.
Pour autant, on se sent jamais largué dans tout ça. Les personnages sont bien mis en place, la progression se fait en douceur et on comprend tous les enjeux. Y’a que certains points de mythologie avec les radieux et les désolations, ce qu’on voit dans le prologue, qui restent un peu flous (volontairement). Ça donne au tout une légère impression de vertige pas désagréable qui montre qu’on a mis la tête dans un truc énorme et qu’on n’en a vu qu’un petit bout. Pour autant, le livre est satisfaisant en lui-même grâce aux personnages et aux intrigues plus proches d’eux, on comprend leurs motivations et leurs psychologies. Il y a une bonne dose d’action, de politique, de drame et de moments plus légers. On est emporté dans le combat désespéré de Kaladin contre la fatalité, dans l’émerveillement de Shallan qui découvre une vaste étendue de savoir, dans les doutes de Dalinar qui remet en question tout le système de valeurs de son propre peuple.
Bon, c’est le bouquin parfait alors ? En fait non, pas exactement. Sanderson a pondu un pavé de 1000/1200 pages (selon l’édition) en VO qui s’est transformé en 1400/1800 pages dans sa traduction (excellente d’ailleurs), et donc évidemment il a été coupé en deux. Cette décision courante chez nous est parfois du foutage de gueule (coucou Pygmalion) mais là on va pas le reprocher au Livre de poche, quand un bouquin est plus épais que large ça peut poser quelques soucis musculaires. Je le chronique comme un seul gros livre, comme l’a pensé l’auteur à la base, mais son principal défaut vient pourtant de sa taille : c’est foutrement long. C’est immersif mais les intrigues avancent très très lentement. On retrouve un des défauts de Sanderson que j’avais ressenti principalement sur Le puits de l’ascension, il est bavard, très bavard. Ses personnages pataugent dans leurs doutes et leurs soucis, ressassent les mêmes dilemmes pendant 1000 pages. C’est pas rédhibitoire pour autant parce que ça reste très agréable à lire mais il aurait pu tailler dans le gras et nous réduire ça de plusieurs centaines de pages sans perdre l’essentiel. Heureusement, le dernier acte est une grosse explosion de drames et d’action épique, 200 pages d’un climax à couper le souffle que j’ai englouti sans voir le temps passer, j’ai refermé le bouquin en réalisant que la nuit était tombée pendant que j’étais… Ailleurs.
Malgré son côté « pipelette », Brandon Sanderson nous livre un début de saga prometteur, le premier roman d’une grande série à l’univers très particulier et enthousiasmant. L’écrivain est un créateur d’univers hors norme, nous verrons dans Le livre des Radieux si ça se confirme (D’ailleurs elle sort quand la version popoche ?). Le tome 3, Oathbringer, sortira en Novembre chez nos amis anglophones.
Un mot sur les couvertures, celles de la version française sont signées Alain Brion qui a fait un joli travail d’ambiance (même si Kaladin a une carrure bizarre). Mais vous devez quand même absolument voir les couvertures originales signées par le grand Michael Whelan parce que ça c’est du gros gros niveau : La voie des rois, Le livre des radieux (et la seconde avec Shallan), Oathbringer.
Lire aussi l’avis de : Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres), Lutin82 (Albédo) : tome 1 et tome 2, Bouchon des bois (Les lectures de Bouch’), Phooka (Book en stock) : tome 1 et tome 2, Dup (Book en stock) : tome 1 et tome 2,
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Comme je suis d’accord avec toi !
Énorme oui, des longueurs oui, mais un vrai sentiment de dépaysement, des mystères en veux-tu en voilà, et un sens de l’épique à couper le souffle !
Ce n’est que le début, on n’a fait qu’effleurer ce monde, mais je sens que ça peut donner (ça va donner, j’y crois !) un truc vraiment marquant.
Tu me donnes envie de me jeter sur la suite (que je n’ai pas encore achetée, suis-je donc fou ?)…
Je fais un effort de volonté extrême pour attendre la sortie poche, mais tiendrai-je jusque là ?
Il est vraiment dommage qu’il y ait ces longueurs. Et pas que minuscules, dans le sens régulier…. Autrement, il aurait été fantastique. J’adore Sanderson, je lis quasiment tout sauf les livres jeunesse, et je sui d’accord avec ton qualificatif de prodige!
J’ai dis « prodige » parce que c’est sa réputation mais pour le moment c’est 50/50 pour moi, je suis pas un fan absolu, j’alterne un livre excellent et un livre décevant de lui.
Warbreaker : sympa, L’empire ultime : très bon, Le puits de l’ascension : soporifique, Le héros des siècles : très bon, L’alliage de la justice : décevant, La voie des rois : très bon…
La couverture originale est sublime ! Tu me tentes bien avec celui-là (même si c’est effectivement un sacré pavé^^) Le côté bavard m’avait aussi déranger dans les précédents romans de l’auteur (notamment « Fils des brumes » mais si tout le reste est bon… Merci pour cette découverte !
De rien, j’espère que ça te plaira 😀
Je n’en doute pas 🙂
Super article, comme d’hab’.
Moi je suis partagé sur ce Sanderson – mais je n’ai lu « que » la moitié, à peine 750 pages… Des persos attachants (je suis amoureux de Syl, la sprène des vents qui prend peu à peu une consistance dont elle se serait bien passée), des passages géniaux (la première vision de Dalinar, bien flippante), un modèle d’infos très riches diffusées peu à peu sans lourdeur… mais aussi quelques trucs qui m’ont moins convaincu (le concept des plaines brisées, je le trouve artificiel – autant les tempêtes me branchent bien, autant ce décor chaotique fait sur mesure pour les histoires de passerelles géantes, je ne m’y suis pas projeté une seule fois; ou encore du didactisme lors de la chasse du démon des gouffres, quand il nous fait des bilans sur le nombre des pattes qu’il reste à couper pour que la grosse bête s’effondre; et puis les dialogues « politiques », sur des problématiques pour le coup très classiques,) + la traduction, qui moi m’a paru étrange à plusieurs reprises (l’emploi de « bien que » + subjonctif présent avec principale au passé, c’est devenu la norme, mais dans certaines phrases ça sonne carrément faux; ou encore le vouvoiement quasi systématique, même quand un voleur des bas quartiers s’adresse à un esclave à terre…?!).
Enfin, je chipote, je ne vibre pas autant que je l’espérais, mais c’est de l’excellent travail bien sûr (et apparemment les quelques centaines de dernières pages valent vraiment le coup, j’irai donc au bout… de ce début:))
J’ai pas noté les bizarreries syntaxiques mais je pense que les longueurs « diluent » un peu la magie parfois, c’est pour ça notamment que je suis pas en extase pure devant le bouquin, il m’a beaucoup plu mais je crie pas encore au génie
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