Un des éditeurs VO que je suis avec attention est Orbit, qui pousse la fantasy bien épique avec des bouquins souvent très bons. Leur grosse nouveauté de Mars était The unbroken, de C. L. Clark, présenté comme une fantasy épique, militaire, LGBT et traitant de colonialisme. Oh oui, j’veux bien lire ça moi.
Touraine est une soldate enlevée dans une colonie et élevée par l’empire de Balladaire, formée pour intégrer l’armée coloniale. Aujourd’hui elle est dévouée à l’empire et son groupe est envoyée à Qazãl pour calmer la rébellion indépendantiste locale, mais Qazãl est aussi le pays d’origine de Touraine. Elle a oublié ses racines mais elle et ses camarades, tous enlevés dans une des colonies, sont méprisés par leurs supérieurs et servent souvent de chair à canon. Évidemment, ça va se poser des questions dans l’escouade. Luca est princesse de Balladaire et héritière du trône, écartée par son oncle jusqu’à ce qu’elle « fasse ses preuves », elle est envoyée à Qazãl pour arranger la situation, elle va essayer de calmer la rébellion mais est aussi très intéressée par la magie des peuples locaux qui pourrait appuyer ses prétentions au trône. Elle a besoin d’un agent de liaison qui pourrait négocier avec les rebelles mais serait loyal à la couronne.
The unbroken est présenté comme inspiré des colonies d’Afrique du nord, mais j’ai été surpris de constater que c’était plus précisément une transposition du colonialisme français dans les pays du Maghreb, il ressemble beaucoup aux circonstances qui ont mené, à terme, à la guerre d’Algérie. L’empire et la culture de Balladaire son très marqués par l’inspiration Française, la carte en début de bouquin est clairement une Méditerranée un peu pimpée avec Balladaire vaguement du côté français, et Qazãl plus ou moins là où se situe l’Algérie. L’autrice fait un boulot remarquable en remettant ce contexte au cœur de son histoire, révélant une situation coloniale tendue et injuste, où on enlève les enfants locaux pour l’Empire. Les peuples colonisés sont considérés comme inférieurs par des Balladairiens qui se croient tout à fait légitimes à envahir ce pays « non-civilisé » (le fameux « Oui mais on leur a apporté tellement ! ». Tout ce contexte est original en fantasy, et traité avec tact par C. L. Clark qui a beaucoup bossé son sujet manifestement, c’est un des gros points forts de The unbroken.
J’ai beaucoup aimé le petit twist sur la religion, où au lieu de convertir les pays colonisés au christianisme, l’empire veut les convertir à l’athéisme, et ça repose exactement sur les mêmes mécanismes. C’est intéressant parce que c’est très actuel, on croise aujourd’hui pas mal d’athées « militants » qui voudraient convertir les croyants à l’athéisme, avec le même sentiment de supériorité et de légitimité que pouvait avoir les chrétiens à une époque.
L’histoire du bouquin va beaucoup reposer sur les négociations avec les rebelles pour calmer le jeu, après un évènement qui arrive assez tôt, Touraine va se retrouver attachée à Luca, et servira d’intermédiaire dans les négociations. Du coup l’aspect militaire est pas prépondérant, l’aspect épique non plus, c’est très politique avec une situation explosive mais qui reste latente jusqu’aux dernier tiers du bouquin. Et là où j’ai été légèrement induit en erreur, c’est que la relation entre Luca et Touraine est vraiment le point central du roman là où je m’attendais à un côté épique plus poussé. Mais dans l’absolu ça me dérange pas. Sauf qu’on arrive au gros défaut du roman à mes yeux : Ses personnages.
J’ai pas du tout accroché à Touraine, ni à Luca. Ce sont deux femmes manifestement écrites pour être fortes et avec de l’initiative, mais elles ne m’ont jamais captivé, et pour un lecteur comme moi si tu loupes tes protagonistes, le bouquin perd beaucoup de son intérêt. Touraine commence comme une soldate bien convertie à la cause impériale, l’armée est toute sa vie, ses camarades sont sa famille. On sait bien en commençant le roman qu’elle va forcément douter au contact des rebelles, c’est évident, mais ses différents revirements d’allégeance sont aussi brusques qu’incompréhensibles. Vu son caractère de militaire taiseuse et disciplinée, je me suis jamais vraiment attaché à elle, et elle a même des réactions assez incompréhensibles plus tard dans le bouquin, elle retourne sa veste plusieurs fois et je me demande toujours pourquoi.
Luca, de son côté, est aussi un personnage prometteur mais que j’ai jamais réussi à suivre. Princesse handicapée par une ancienne blessure, elle doit faire ses preuves mais a l’air de se foutre un peu de la situation politique, sa seule obsession c’est de trouver la magie des anciens, et t’as souvent envie de la secouer pour qu’elle s’intéresse un peu plus au problème urgent, et moins à ses chimères. Bien sûr, plus le scénario avance, et plus j’ai décroché de ma lecture à cause de ces deux protagonistes, et à la fin j’me sentais plus du tout investi dans l’histoire. Et évidemment elles ont une romance latente qui m’a jamais captivé, pourtant elle prend de la place, et parait un peu malsaine vu la relation de subordination et le contexte, mais j’étais déjà plus du tout dedans alors c’est un détail. Bizarrement, y’a pourtant toute une galerie de personnages secondaire très intéressants, du côté militaire avec Pruett et Tibeau, ou du côté rebelle avec tous ces personnages mystérieux et iconisés, j’avais presque envie d’avoir un autre récit de leur point de vue, ça avait l’air vachement mieux par là-bas.
Roman de fantasy politique inspiré de l’histoire coloniale française, The unbroken m’a d’abord beaucoup plu grâce à son contexte et ses inspirations, originales, traitées avec soin, documentées et crédibles. Mais toutes ces qualités sont un peu tombées à l’eau à cause de protagonistes qui n’ont jamais réussi à m’accrocher, dont j’avais du mal à saisir les motivations, voire même la logique. Très dommage.
J’ai abandonné à 81%, pour ma part, pour tout un tas de raisons, dont le fait que moi non plus, je n’arrivais pas à accrocher aux persos. De mon côté, j’ai aussi trouvé que tous les changements de cap de l’intrigue s’emboitaient péniblement avec ce qui arrivait avant et après. En gros, c’est comme une pièce de puzzle qu’il faudrait raboter à la lime pour qu’elle s’emboite avec les autres : ça passe, mais tout juste. Et puis bon, je lisais, je lisais, et je n’arrivais pas à m’intéresser à ce qui se déroulait. Donc au bout d’un moment, j’ai arrêté. Surtout que pour arriver à 81%, j’ai dû mettre 10-15 jours, facile, tellement j’avais du mal à me motiver pour reprendre ma lecture.
Sinon, si je me fie aux remerciements, il me semble qu’elle mentionne avoir visité le Maroc, donc je dirais que c’est plus inspiré par ce pays que par l’Algérie. Et au niveau originalité en Fantasy, je nuancerais aussi : sur les thématiques coloniales, Kacen Callender a fait encore plus poussé avec Queen of the conquered, et les bases de The unbroken ressemblent terriblement à celles de l’univers des Mille noms de Django Wexler : pays d’inspiration française avec des mousquets qui colonise / conquiert un pays d’inspiration nord-africaine, jeune reine / princesse déterminée, personnage qui cherche une ancienne magie dans ledit pays, etc. Le côté militaire étant très atténué dans The unbroken, comme tu le soulignes.
Mais bon, on est d’accord, ça ne mérite probablement pas le buzz qu’il y a autour, c’est intéressant sur les thématiques sociétales soulevées, mais sur tous les autres plans, c’est bancal.
Oui, je pense que c’est original par rapport au gros de la production du genre, mais c’est sûr qu’en fouillant on trouve quelques œuvres sur le même thème. Mais j’ai pas encore lu les deux dont tu parles.
Pour ma part, j’ai finis le livre en survolant un peu, mais l’immersion était plus là. Maintenant j’ai peur pour Son of the storm :S
Ah ben pareil, j’ai d’ailleurs repoussé sa lecture à la fin d’année. Mais bon là, je finis The last watch aujourd’hui et j’attaque la dream team : The shadow of the gods de John Gwynne puis A master of djinn de P. Djéli Clark. Là par contre, ça va être la régalade 😀
Là je suis à la moitié de Sins of empire, après j’ai le SP de Du roi je serai l’assassin à lire, et on verra quels livres arrivent dans la boite aux lettres en premier entre Shadow of the gods et Son of the storm 😀
Tout le début de ton article m’a enthousiasmé et puis… patatra ! :/ Bon, je passe.
Merci de t’être sacrifié :).
Oui à la lecture du bouquin aussi ça fait patatra
Je viens de le finir, et je suis aussi un peu déçu. En fait, je trouve qu’il y a beaucoup trop de raccourcis paresseux utilisés pour conduire l’intrigue principale. L’histoire d’amour vu la relation de subordination au cœur de l’intrigue, macro et micro, sonne totalement faux (surtout compte tenu de l’expérience que l’une et l’autre sont censées avoir), trop de grands méchants qui mangent des bébés plutôt que de la malice/racisme banal, une incompétence et un manque de volonté des héroïnes incompréhensible, et la magie, c’est juste trop facile. Des personnages secondaires attachants oui, Cantic, Malika, Aliez, Jax, Pru, Tibeau, ils sortent du lot.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à L’Étranger de Camus et à cet article: https://blogs.scientificamerican.com/observations/the-real-reason-fans-hate-the-last-season-of-game-of-thrones/ , il me semble qu’en voulant une histoire « individuelle », The Unbroken a échoué dans sa construction sociologique, et dans la cohérence (et la dureté) nécessaire à l’utilisation du background colonialiste français. On peut traiter ça sans cheat, et sans happy end, en étant d’autant plus fort.
meh.
J’avais oublié, sur l’athéisme forcé : Ok, sur le principe, c’est pas comme si les soviétiques n’avait pas déjà tenté… mais dans un monde où la magie existe et est vérifiablement liée à la croyance, ça semble profondément stupide comme worldbuilding et comme concept.
Il y a une différence entre un gars qui te dis « dieu existe parce c’est écrit dans un recueil de nouvelles d’il y a deux mille ans » et « dieu existe parce que quand je prie, des miracles surviennent, systématiquement », dans ce monde être athée c’est comme ne pas croire au soleil.
(et ne parlons pas du fait que la religion devrait etre encore plus solide que dans notre monde, et les scientifiques devraient explorer la magie comme ils font pour toutes les composantes existantes du monde en vrai)
J’avoue que j’ai pas vu de souci dans la construction sociologique, juste dans la logique, des personnages surtout.
Par contre le coup de l’athéisme, elle fait assez bien comprendre que l’empire a renoncé à leurs croyances parce que la science a supplanté, voire amélioré, les bienfaits que leur apportait leur dieu « spécialisé agriculture ». Pour le coup j’ai pas trouvé ça choquant.
Oui, on peut même se demander si il n’y a pas (vu le titre de la serie), un lien entre l’utilisation « negative » de leur magie et le « withering ». Une decision politique n’est pas choquante en soit. Le khmer Rouge ont décidé d’abandonner les villes et l’intellectualisme, par exemple.
Ce que je veux dire c’est qu’on présente quand même une société type deuxième empire avec plein de chercheurs, et apparemment tout ce beau monde a décidé d’oublier un élément clef dans le fonctionnement même du monde… sauf la jeune reine… mais il y a juste une pauvre note de bas de page pour documenter ça? Soyons serieux deux secondes, si la magie existait, on aurait des plans pour des usines qui tournent aux mana, et un tombereau de théories de la magicité générale.
J’avoue que je me pose pas autant de questions sur le worldbuilding quand je lis XD
C’est dommage, le début de ton article donnait bien envie, mais tant pis !
Tant pis, y’a plein d’autres bouquins ! \o/
Effectivement très dommage parce que l’univers, les idées, le concept sont vraiment excellents. Mais je suis comme toi, si les personnages ne m’accrochent pas, je perds beaucoup de mon enthousiasme à la lecture.
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