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Territoires, Les capuches de la peur

Il y a quelques temps, j’ai demandé au vénérable Smadj (C’est contagieux) quelques conseils de thrillers récents incontournables, et dans son trio de tête arrivait Olivier Norek avec son Territoires. Effectivement, le bonhomme est présenté par critiques et lecteurs comme la nouvelle grosse pointure du polar made in France, les éloges pleuvent sur la toile, ça sent la valeur sûre.

Lui-même lieutenant de police dans le département de la Seine-Saint-Denis (le fameux 93), l’auteur se sert de son expérience pour écrire des romans policiers au cœur des banlieues de la capitale. Territoires est la seconde aventure de son héros Victor Coste et de son équipe. L’histoire démarre quand les trois principaux dealers des cités de Malceny sont retrouvés assassinés, l’équipe du capitaine va devoir enquêter en marchant sur des œufs. Les quartiers sensibles sont prêts à exploser, il suffirait d’un rien pour que la banlieue s’embrase. Nous suivrons l’affaire sous trois aspects différents : l’enquête de la brigade criminelle, la gestion politique de l’affaire avec la maire de Malceny et son staff, et enfin dans la rue avec les dealers et les habitants des quartiers.

territoirespocheNorek décrit un monde corrompu où les politiques jouent avec le feu pour leur propre intérêt, nul doute que beaucoup d’anecdotes sont tirées de l’expérience de l’écrivain, ce qui donne un aspect réaliste à l’ensemble. Les procédures, l’ambiance et le feeling général de ces quartiers sont convaincants, ils dressent un portrait sans concession de la gestion des  banlieues par les autorités. Par bien des aspects, l’auteur travaille sur le même schéma que la série référence en la matière : Sur Écoute (The Wire), il traite tous les paramètres de l’équation pour en dresser un portrait général. On sent qu’il connait son métier de policier et qu’il le défend, mais ne nous livre pas une enquête à la structure classique, les flics sont surtout témoin des évènements mais n’ont pas l’initiative, ce qui est vraisemblablement souvent le cas dans la vraie vie. Ce n’est donc pas vraiment un polar classique que nous avons là, mais plus une chronique policière, une fiction-témoignage.

Tout ceci explique le succès de Territoires mais, pour ma part, rien dans ma lecture ne m’a convaincu (enfin je devrais plutôt parler de « mon écoute » vu que j’ai eu la version audio du roman). Non pas que la situation décrite dans le bouquin me paraisse invraisemblable, c’est très plausible, mais j’attends peut-être de mes lectures un peu plus de fiction et un peu moins de témoignage déprimant. Surtout, ce qui m’a empêché d’entrer dans l’histoire c’est l’accumulation de gros clichés et le manque de nuance dans le propos de l’auteur. Évidemment que le trafic de drogue et la criminalité sont le quotidien de ces banlieues, mais quand TOUS les jeunes de ces quartiers sont des psychopathes à capuche, que la maire est une caricature de politicienne amorale, tout ça est bien manichéen.

Le roman arrive très bien à restituer le côté mécanique de la situation, à présenter les rouages de cette grande machine qui font tourner bien des comptes en banque. Il arrive à nous livrer un éventail d’évènements ne présentant pas toujours les flics comme des super-héros, il y a le capitaine avec les dents qui rayent le parquet, le flic qui obéit à des ordres absurdes par peur des conséquences de son refus, etc… Norek a le mérite de présenter son métier avec une variété de situations et de cas qui témoignent de son expérience. Mais il n’arrive jamais à convaincre dès qu’on se rapproche des gens. Ses personnages sont des clichés sur pattes survolés, côté banlieusard, côté flic ou côté politique, ils servent le propos de l’auteur mais sonnent affreusement creux. Dans l’équipe principale, Coste est un capitaine paternel et empathique, Ronan est le dragueur au sang chaud, Sam est le geek de service (au secours) et Johanna est… une femme… sans grande particularité… Les dialogues sont plats et leur vie de groupe à base de chamailleries puériles n’apporte pas grand chose. Les histoires sentimentales sont horriblement fades. Les rivalités entre les « services » sont aussi du gros déjà-vu. Tout ça fait de Territoires, au delà de son portrait de société, un roman très prévisible.

territoiresBien sûr, tous ceux qui trempent dans la politique sont des enfoirés manipulateurs (méchant politique, méchant !), la maire de Malceny est odieuse à l’excès. Et les jeunes des banlieues sont traités de manière bien trop simpliste pour convaincre. Y’en a pas un seul qui n’est pas un pseudo-enfant-soldat pour les gros dealers, leur contexte social et familial est esquivé en trois pirouettes. Seul Marcus apparait comme un élément un peu plus neutre mais le coup du boxeur qui encaisse en silence pour s’en sortir avec le sport, ouais, super, merci, on l’avait jamais vu. Ce multi-portrait croisé manque vraiment de profondeur. Même dans les banlieues pourries de Baltimore dans The Wire on avait des personnages sympas et attachants, avec beaucoup de personnalité, c’est si compliqué que ça ? Il reste toutefois quelques scènes-choc puissantes, des moments explosifs comme l’épisode « patator versus toutou ».

Mais globalement je me suis pas mal ennuyé avec Territoires, j’avais l’impression de regarder un reportage sur le JT de TF1 (chose que je ne fais plus depuis des années), on joue sur la peur des banlieues et de leur « explosion » pour faire du sensationnel bien flippant sans jamais creuser le côté humain du problème : les gens, leur vie, leur culture, leur quotidien. « Oooouh, français, les jeunes des banlieues ça fait peeeeeeur ». On reste finalement beaucoup trop derrière le bouclier du flic qui se protège des caillasses, on accumule des clichés (qui peuvent exister, certes…), on va jamais voir vraiment de l’autre côté. Je regrette également les longues scènes un peu gores, pas très utiles et bien descriptives, autopsie par le menu, explosion de chat en technicolor, petite séance de torture bien longue…

Territoires dresse un portrait des banlieues parisiennes certainement proche de la vérité, basé sur le vécu de l’auteur et son point de vue. En tant que roman-témoin il dresse une situation d’ensemble convaincante d’un problème complexe. Mais Olivier Norek échoue, de mon point de vue, à rendre son roman intéressant au-delà du « oh mon dieu les banlieues ça craint du boudin mais c’est aussi la faute aux politiques ». Les personnages sont fades, les situations sont des clichés alarmistes, le côté humain est largement survolé. Je ne me suis attaché à rien ni personne dans ce livre, le côté « chronique policière » y a beaucoup plus de valeur que sa fiction pure qui, elle, est décevante.

Un petit mot sur la lecture de François Montagut pour la version audio qui peine à convaincre par moments. Il est souvent juste sur les descriptions et la narration, mais les dialogues prennent parfois des intonations surjouées et ça sonne carrément faux quand il prête sa voix aux jeunes des cités, mais je ne sais pas quelle part a l’écriture là-dedans. Bon, le grand-écart était périlleux à la base, il faut l’avouer.

Lire aussi l’avis de : Smadj (C’est contagieux), Joyeux-Drille (Appuyez sur la touche lecture),

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