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Mordre le bouclier, Ode aux fracassés

Après « Chien du heaume », Justine Niogret revient sur son héroïne toute cassée, bourrine et bourrue dans « Mordre le bouclier ». On retrouve Chien qui n’a toujours pas trouvé son nom mais a perdu une bonne partie de ses doigts. Elle tourne en rond au castel de Broe en se rongeant les phalanges qui lui restent quand Bréhyr lui demande de l’accompagner pour son expédition vengeresse, en lui promettant de l’aider à trouver son nom en échange. Voilà nos deux héroïnes qui partent sur les traces des croisés pour tuer du salopard.

On reste ici sur le même format que le premier livre : du court et lent, limite contemplatif. La quête de Chien et Bréhyr sera surtout intérieure, deux femmes cabossées qui se rafistolent comme elles peuvent et avancent ensemble. Elle rencontreront en chemin le chevalier Saint Roses, un croisé qui a perdu la foi et une jambe, ainsi que La Petite, une teigne armée d’une arbalète. Ensemble il vont se rendre au Tor, une tour qui garde le seul passage obligé pour les chevaliers revenant de croisades, et ils vont attendre leur cible, attendre en se racontant leur passé, en doutant, en se cherchant.

On retrouve bien évidemment avec grand plaisir ce ton âpre et brut qui marquait « Chien du heaume », ce monde médiéval est criant de réalisme et atteste de l’érudition de Justine Niogret en la matière. Tout est dans les détails et l’atmosphère, on est plongés dans cette vie rude et sans concession qui a marqué nos personnages, on y croit et ça ne fait que renforcer l’impact que leur caractère va avoir sur le lecteur. Comme dans le livre précédent, les silences ont autant de place que les paroles, on retrouve des moments de calmes et de « dialogues silencieux » qui définissent Chien et lui donne son aura particulière et donnent lieu à des scènes figées d’une beauté époustouflante (enfin, en tout cas dans ma tête c’était super beau, j’sais pas vous…).

Ce groupe de guerriers vraiment particulier prends à contre-pied tous les groupes d’aventuriers qui parsèment les rayonnage de bibliothèques. On a affaire à un troupeau d’estropiés, trois femmes et un hommes pour qui les aventures sont passées et ont laissés des traces et des séquelles, on sent qu’ils veulent accomplir leur dernière tâche, un dernier baroud d’honneur plein d’introspection, de réflexion et quelque part, une quête du repos du guerrier bien mérité. Pourtant on revient souvent sur l’utilité du combat, sur le « à quoi bon ? » de la recherche du vrai nom de Chien, de la vengeance de Bréhyr… Et encore une fois, le livre se termine en gardant quelques mystères non résolus tout en restant très satisfaisant.

J’ai ressenti une certaine redite par rapport au premier roman de Justine Niogret dans les trajectoires et schémas narratifs des personnages, Chien en particulier. Elle a à peu près la même évolution, partant d’une rage incontrôlable de guerrière perdue qui trouve un moment de calme et de répit au contact d’un homme qui impose une certaine sérénité (Bruec ou Saint Roses). Ça donne lieu à des scènes touchantes mais qui renvoient constamment le lecteur au livre précédent. La touche de nouveauté est amenée par Bréhyr qui explore le thème de la vengeance avec subtilité et justesse et tape vraiment fort, Chien passe d’ailleurs au second plan pour lui laisser le devant de la scène assez régulièrement.

Mordre le bouclier permet également à l’auteure d’amener dans son univers l’histoire des croisades chrétiennes sous un aspect bien éloignés des chevaliers en armure brillantes partant « libérer » la terre sainte qu’on nous sert dans les grandes épopées médiévales. Ici les croisés sont des chevaliers plus ou moins illuminés qui se font défoncer la gueule et reviennent la queue entre les jambes (quand il leur reste des jambes, ou une queue…), après des années de pillages et de massacres. Plus ou moins ce qu’ils devaient être dans la vraie vie quoi… C’est vraiment intéressant et apporte une nouvelle dimension à l’univers de Justine Niogret, un niveau de lecture supplémentaire vraiment bienvenu.

S’il fait par moment un peu répétition par rapport à « Chien du Heaume », « Mordre le bouclier » reste une lecture solide qui ravira les amateurs du premier roman, on retrouve tout ce qui fait la puissance et la beauté de l’univers de Chien, apporte quelques niveaux de lecture supplémentaires en accentuant le côté introspectif, peut-être au détriment du dynamisme… Mais vraiment, on s’en fout, lisez Justine Niogret.

Lire les avis de : Dionysos (le bibliocosme), Gillossen (Elbakin.net), Blackwolf (Blog-o-livre), Vil Faquin (La faquinade), Laurent Leleu (Bifrost)

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