L’infernale comédie est la réédition d’une trilogie de Mike Resnick parue à la base chez Denoël à partir de 1995. Cette intégrale sortant à la fin du mois chez ActuSF regroupe Paradis, Purgatoire et Enfer qui sont trois romans parlant de colonisation de planètes inexplorées… à moins que ça parle d’autre chose ? Je ne sais plus, je suis confusionné…
Dès les premières pages, l’auteur annonce sur un ton ironique que ce qui va suivre est de la fiction-mais-pas-trop. En effet il attaque sur une fable Africaine et nous précise « Elle n’a évidemment rien à voir avec ce roman, qui parle d’une planète imaginaire, Peponi, et non d’un pays bien réel, le Kenya », introduction qui sera répétée pour chacun des trois récits. On comprend vite où veut en venir le facétieux écrivain, le premier roman de cette intégrale nous présente l’histoire de la décolonisation du Kenya re-skinnée en planète-opéra.
Paradis nous raconte les recherches de Matthew Breen, un écrivain qui compte pondre la biographie d’un habitant emblématique de la planète Peponi. De fil en aiguille, nous allons suivre Breen à travers ses interviews qui vont nous faire traverser toutes les époques de l’histoire coloniale du Ken… Euh, pardon, de Peponi : Les débuts sauvages pleins de richesse et d’opportunités, le mépris des populations locales considérées comme inférieures, la destruction de l’écosystème par l’homme, la rébellion puis l’indépendance. A la fin de cette lecture, par curiosité, j’ai cherché l’histoire du Kenya sur « Gogole », et effectivement ça ressemble étrangement à ce que je venais de lire. Le même procédé est utilisé dans Purgatoire et Enfer pour évoquer respectivement l’histoire du Zimbabwe et de l’Ouganda.
La technique est simple, racontez l’histoire d’un pays Africain et remplacez le nom du pays par celui d’une planète, transformez rhinocéros, girafe et gazelle par cuirassé, broutecime et dos-argenté, modifiez les noms des tribus et paf ! Vous avez de la science-fiction. Maintenant, la question est : Est-ce que ça fonctionne ? Non, mais oui quand même. Et comme ça veut rien dire je vais expliquer. La transposition en SF est tellement superficielle qu’en lisant le livre on n’est pas dupe, on s’imagine clairement le pays modèle et les rares allusions à l’espace n’ont pas suffit à me faire avaler l’aspect conquête spatiale du livre. C’est très certainement fait exprès, dans ma tête je lisais une histoire qui se passait en Afrique, point. C’est à se demander pourquoi s’embêter à transposer le machin dans l’espace, peut-être pour effacer nos préjugés raciaux mais c’est un peu gros.
Le second roman, Purgatoire, est un peu différent. Le peuple de Karimon est plus sauvage et guerrier, et c’est par la tromperie que les colons humains vont prendre possession des ressources de la planète. L’avantage de cette seconde histoire est que ce n’est plus un récit rapporté, on le vit avec les personnages. On découvre comment les relations des Tulabétés avec les ambassadeurs de la République ont évoluées, on assiste aux négociations, manipulations, trahisons, etc… On est dans la politique, les guerres tribales et l’armement de telle ou telle faction par la république pour faire pression sur les tribus d’en face, tous ces procédés joyeusement subtils que nos pays « civilisés » ont utilisées pour arriver à leurs fins, jusqu’à la guerre ouverte.
Enfer présente encore un autre exemple : Après tous les échecs et les massacres des colonisations passées, Arthur Cartright voulait faire de Faligor un exemple d’intégration réussie. Pas d’asservissement, une collaboration d’égal à égal, le respect et l’accompagnement des populations locales vers le progrès. Même si c’est encore très arrogant, le processus fonctionne, pendant des années les deux peuples travaillent ensemble, développent l’agriculture, le commerce, les écoles et les hôpitaux. Tout va bien. Mais la folie va bientôt rattraper ce joli tableau pour le transformer en bain de sang incontrôlable. Bien sûr, les habitants de la planète ne sont pas tous des saints, ce sont des chefs de guerre manipulateurs qui essayent de profiter de la situation pour écraser leurs rivaux.
Mike Resnick essaye toujours de ne pas tomber dans la facilité « les méchants contre les gentils », les pourris sont des deux côtés, c’est ce qui donne un équilibre réaliste à l’ensemble. Les trois épisodes prennent une saveur de roman historique, mais le côté neutre de la narration rend le tout assez froid, on a parfois l’impression d’assister à un cours. On est loin du souffle épique que peut donner un Conn Iggulden à l’Histoire, on ne s’attache pas à un héros ballotté par des évènements, on n’a pas de grande aventure, on découvre le destin de ces peuples en prenant plusieurs points de vue à la manière d’un documentaire. Pourtant la lecture est prenante ! On dévore le livre, l’injustice que vivaient tous ces peuples colonisés prend aux tripes, révolte, et émeut. Le dédain avec lequel notre civilisation a traité, et traite toujours d’ailleurs, une grande partie des autres pays du monde est une honte.
L’ancienne édition des trois romans
Le point commun des trois histoires, finalement, c’est l’arrogance de l’homme qui pense que son modèle de société est supérieur, que tous les autres peuples ne peuvent qu’y gagner en faisant comme eux. Mais on voit qu’imposer notre système économique à des gens qui vivent très bien sans notion d’argent est une catastrophe (ce système est déjà une catastrophe pour nous, mais au moins on a eu des siècles pour l’intégrer à peu près…), leur imposer la pratique de l’agriculture détruit leur écosystème aussi sûrement que nous avons détruit le notre. Nous balayons leur culture, leurs valeurs et leurs croyances pour n’y laisser que du vide, et c’est là que vient la course au pouvoir et aux richesses, le tout exacerbé par les rivalités tribales déjà présentes.
Je dois avouer que la lecture de L’infernale comédie avait tendance à me mettre un peu sur les nerfs. J’ai toujours été ébahi par la suffisance dont fait preuve notre civilisation envers les peuples jugés « sous-développés », et par la manière dont on a détruit toutes les cultures tribales et les écosystèmes étrangers sous prétexte de leur apporter le « progrès » (et surtout piller leurs ressources). Mais pour moi qui suit assez ignorant sur la chose, lire de manière si détaillée avec quel dédain on a profité de ces peuples, on a imposé notre mode de vie à des hommes (ou des aliens, mais bon, on a compris) qui s’en sortaient très bien sans nous, ça a un côté très éprouvant que le ton objectif du texte accentue. Pas vraiment un « feel-good bouquin » quoi, mais c’est pas le but.
C’est aussi passionnant que révoltant de découvrir l’histoire coloniale africaine à travers ces récits, qui du coup se rapprochent du roman historique si on fait abstraction des aliens, des vaisseaux et des pistolets soniques. Les pays modèles étaient des colonies anglaises mais en tant que français, on en a tout autant dans nos bagages, et quand on entend encore aujourd’hui des gens nous dire que l’occident apporte « la civilisation » à certains pays, on se dit que c’est pas gagné.
Bouquin reçu en SP de la part de l’éditeur, merci à eux
Ce titre d’article ! ^^
J’adore ce qu’a écrit Mike Resnick dans sa « veine africaine ». Et du coup je te conseille aussi le recueil « Sous d’autres recueils » (pas facile à trouver) et surtout, surtout, ce chef d’oeuvre ultime : « Kirinyaga ». À lire absolument.
Oui, en fouillant j’ai lu beaucoup d’éloges sur Kirinyaga, ça doit valoir le coup d’œil, je vais essayer de mettre la main dessus.
Hum, et le recueil dont je parle plus haut, c’est « Sous d’autres soleils » hein… 😉
j’avais même pas percuté 😀
Bon je sens que je vais me laisser tenter.
Je te félicite pas pour cette alléchante chronique mellifère.
Les anciennes couvertures allient super bien le mélange africain/futuriste. Dommage qu’elles aient déteint…
Elles font quand même vachement old-school aujourd’hui 🙂
C’est sûr. Les graphistes d’aujourd’hui en ont encore en réserve…