Une lumière crépusculaire, un froid mordant, vous sortez de votre travail avec un but en tête : trouver ce vieux bouquin de SF non réédité qui manque à votre collection. Pas le choix, vous errez de bouquiniste en bouquiniste, vous demandez à ce vieux moustachu qui vous scrute du haut de sa chaise pliante rescotchée, planqué derrière une pile de SAS pour fumer son cigarillo. Il secoue la tête et marmonne un truc inaudible, pas de bol, au suivant. Jusqu’au dernier vous ne perdez pas espoir, mais il faut se rendre à l’évidence…
Tu n’es qu’un esclave, Neo
Mais nous sommes en 2016, nom d’un panda anorexique ! La technologie moderne vous permettra bien de retrouver des livres oubliés par le biais du numérique, non ? C’est précisément le but que s’est fixé Multivers Éditions, une Association Sans But Lucratif (équivalent de nos associations loi 1901 pour les fiers belges) qui récupère certains livres de SF, fantasy, fantastique ou polars devenus introuvables et les réédite en numérique ou en impression à la demande. Et on y trouve des noms qui résonnent dans nos petites têtes de lecteurs assidus comme Laurent Genefort, Laurent Kloetzer, Laurent Whale (y’a une épidémie de Laurent), Jean-Claude Dunyach ou encore Henri Loevenbruck. Voilà la bonne occasion de lire des vieilleries presque oubliées.
C’est par du Johan Heliot que j’attaque mon exploration. Notamment connu pour sa Trilogie de la Lune, l’auteur est prolifique et tape un peu dans tous les registres des littératures de l’imaginaire depuis une quinzaine d’années. Le livre qui nous intéresse ici est de la pure SF : La harpe des étoiles a été publiée à l’origine chez Imaginaires sans frontière, avec une belle couverture illustrée par Manchu pleine de lasers, et c’est donc grâce à Multivers que j’ai pu mettre la main sur une réédition numérique. Ce roman nous place dans un futur lointain où l’univers est peuplé par les « Néos », des humains synthétiques créés par les « primo-humains ». Suite à une guerre entre primos et néos, les premiers ont totalement disparu. La légende raconte que les derniers ont fui dans les confins inexplorés de la galaxie à bord de leur dernier vaisseau, l’Abelle. C’est précisément ce vaisseau que le héros de notre histoire va être chargé de retrouver.
Teer-Elben est en effet engagé par un mystérieux commanditaire pour aller enquêter sur une rumeur qui secoue les ondes de la harpe : les primos sont de retour. Dans sa quête il sera accompagné par plusieurs compagnons, une berserker bourrine avec un gros fusil, une petite bestiole à tentacules RJ45 très pratique, et ils seront rejoints un peu plus tard par Si’Wu, une Diaphane au corps vaporeux. Un des éléments centraux du récit est que les néos sont regroupés en castes, qui semblent leur prédéfinir un rôle. Il y a les mécas, les diplomates, les commandants, etc… Teer-Elben, quant à lui, et un nomade, une caste jugée inutile car leur seule vocation est de voyager sans but, dans un trip quasi-mystique qui vénère les faisceaux de la harpe et les traces qu’ils laissent en voyageant.
La fibre intersidérale
La harpe en question, celle du titre, est une des bonnes idées du roman. Les planètes sont reliées entre elles par des faisceaux de lumières qui servent à communiquer à travers les années-lumières qui les séparent. Ces faisceaux se rejoignent sur des nœuds, gérés par les administrateurs réseaux de l’espace, qui surveillent et orientent toutes les données. Ce principe donne à la fois une petite originalité à l’univers développé ici, mais donne aussi une particularité visuelle forte au roman, on se représente tout ce bordel lumineux très facilement et ça marque l’identité du roman.
Le monde créé par Johan Heliot est très complexe, il aborde une foultitude de thèmes classiques de la SF et construit un tout cohérent et riche. On apprend petit à petit l’histoire et les secrets des primos et des néos, et la curiosité pousse le lecteur à suivre Teer-Elben dans sa quête, car l’énigme que renferme l’Abelle est fort mystérieuse. La richesse du background est à la fois une qualité, mais nous amène au principal défaut de La harpe des étoiles selon moi : L’auteur essaye tellement de décrire le fonctionnement et le background de sa création qu’il en oublierait presque que des personnages trainent au milieu de tout ça, qu’il a une aventure à mener et une quête à raconter.
Teer-Elben est intéressant dans le principe, mais au fur et à mesure de ma lecture, je me désintéressait de lui et de ses camarades. L’auteur passe tellement de temps et d’énergie à décrire tout et n’importe quoi, le fonctionnement des harpes, des castes, des nano-machines, de la cape magique du héros, etc… qu’on perd le fil de l’aventure très souvent. Ceux qui apprécient un background étoffé au détriment des personnages y trouveront leur compte, mais ça m’a posé pas mal de soucis d’immersion. Heliot décrit tout, certaines choses sont intéressantes et servent l’histoire, d’autres sont simplement des informations inutiles.
Au final, si on enlève tout l’enrobage SF hyper-dense du roman, il ne reste qu’un groupe de héros bien stéréotypés qui font un voyage sans trop savoir pourquoi. La composition de l’équipe apparait tellement classique (le héros idéaliste, le gros bourrin, la jolie nana mystérieuse, la petite bestiole rigolote) qu’on se croirait dans une BD Soleil. Ils sont trimballés par les évènements et on ne s’attache jamais vraiment à eux. L’équilibre entre world-building et personnages est clairement en défaveur de ces derniers.
La harpe des étoiles est un univers de SF très intéressant mais tellement riche qu’on est écrasé par toutes ces informations, ces descriptions et les enjeux qui se croisent. Face à tout ça, les héros de cette aventure peinent à accrocher le lecteur, tentant quelques appels du pied de temps en temps, qui sont vite balayés par une énième explication encyclopédique de l’auteur.
Je tenterai peut-être la découverte un jour.