Parfois, un bouquin vous tombe dessus comme ça, vous l’auriez jamais lu de vous-même mais le hasard, la providence, l’univers, un démon malfaisant ou votre maman (dans mon cas c’est plutôt ça…) vous le pose dans les mains sans vous demander, et vous l’ouvrez avant même de vous demander ce que ça fout là. Non parce que j’aurai jamais acheté La compagnie des menteurs de Karen Maitland tout seul hein, avec sa couverture photomontage instagram et sa quatrième de couv’ qui attaque direct du « name-dropping » à coups de Umberto Eco et Ian Pears…
Et oui, je pratique le délit de sale gueule sur les bouquins, je sais c’est mal. D’autant plus que celui-ci, sous ses faux airs de sous-nom-de-la-rose, cache un roman fort sympathique : Nous sommes en 1348, la peste gagne les côtes anglaises et le pays commence à paniquer. Dans cette Angleterre rongée par la peur, nous suivrons un groupe de voyageurs qui se retrouvent à faire la route ensemble, plus ou moins au hasard du chemin et sans vraiment se connaitre. Au cours du périple seront révélés les secrets de ces personnages tous plus mystérieux les uns que les autres, et la mort finira aussi par s’en mêler… Ces personnages seront par exemple le narrateur, un camelot âgé qui vend des fausses reliques aux crédules, ou encore Rodrigo, un musicien italien accompagné de son élève Jofre, ou Zophiel, magicien et montreur de bizarreries antipathique et aigri, ou encore Narigorm, une fillette flippante qui lit l’avenir dans ses runes.
Je vais pas tous vous les lister, mais vous voyez le genre, un groupe hétéroclite de freaks et marginaux, fuyant la peste et faisant route vers le nord. Le livre raconte donc le voyage de ces gens-là, et comme les voyageurs en ce temps-là, Karen Maitland prend son temps, le livre déroule son intrigue tranquillement sans jamais brusquer les choses. On va de retournements de situation en révélations surprenantes au rythme de la roulotte qui suit nos héros, mais tout est question d’ambiance, l’Angleterre décrite avec précision est sombre, grise, martelée par la pluie et le sang. On va battre la campagne à travers un hiver rude et croiser des paysans, des pauvres, des allumés et des enfoirés.
C’est vraiment l’ambiance et l’impression d’authenticité qui transportent le lecteur, mais ne vous attendez pas à une avalanche de cadavres comme l’annonce le résumé en quatrième de couv’. Comme je l’ai dit l’auteur prend son temps, et ce n’est qu’à la deuxième moitié du roman que quelques cadavres vont pointer le bout de leur moignon sanguinolent, et le cœur du roman n’est pas là à mon avis. La compagnie des menteurs est un espèce de boite à malice renfermant plusieurs énigmes imbriquées, chaque personnage ayant son petit secret ou son fardeau, la dynamique du groupe est passionnante, les tensions et les amitiés se créent et se défont dès que les masques tombent, qu’untel connait la vérité sur un autre sans le dire mais comprends certains enjeux…
Le livre joue aussi beaucoup avec les superstitions et coutumes de l’époque qui apparaissent vraiment authentiques (mais en même temps j’en sais foutre rien, j’y étais pas et je suis pas expert…). Certains éléments apparaitront même comme légèrement fantastiques, entre les histoires qu’on se raconte, les bizarreries inconnues qui évoquent tout de suite le surnaturel pour l’époque, la peur des bruits nocturnes et des créatures qui rôdent, et la magie qui se montre de temps en temps. On a aussi une bonne grosse dose de racisme allumé, notamment contre les juifs qui sont considérés comme la source de tout mal à l’époque, c’est d’ailleurs sûrement eux qui ont amené la peste exprès, tant qu’à faire…
Pas tout à fait un thriller, La compagnie des menteurs est la chronique d’un moyen-âge sombre, cruel, où ignorance et superstitions se mélangent, où tout est guidé par la peur et la méfiance. C’est une excellente fiction historique qui manque un poil de rythme mais qui joue sur son ambiance et son aura de mystères, sur des personnages intéressants et très bien écrits. Une belle balade dans la boue avec des copains tout bizarres quoi…
J’avoue que la couverture ne m’aurait pas du tout donné envie de m’y intéresser non plus… Ta critique, par contre, est alléchante 🙂 Je le note !