Isabelle Bauthian avait sorti son Anasterry sous le label indépendant Bad Wolf avant son ActuSF-isation, et c’est aujourd’hui l’éditeur qui propulse le second tome des Rhéteurs : Grish-Mère. Vous pouvez retrouver mon avis sur Anasterry sur Le cri du troll, mais sachez que les deux romans sont indépendants donc vous pouvez tout à fait lire Grish-Mère sans avoir lu le précédent.
En effet, ce nouveau bouquin reste dans l’univers de Civilisation mais on part avec un nouveau héros, dans une nouvelle aventure. Sylve est un factotum, un serviteur de luxe de Landor qui sait tout faire, cuisine, couture, rhétorique, défonçage de crâne, un Alfred de la castagne à louer. Il officiait au château de Réor quand on a dérobé une relique sacrée à son seigneur. Le coupable, Loquet, Baron des malandrins, s’est servi de Sylve pour arriver à ses fins et c’est un peu la honte pour un factotum. Notre héros va s’enfuir avec sa hache et son parler bourrin pour retrouver le voleur et son butin. Objectif : Grish-Mère, baronnie matriarcale où se planque le chenapan. Mais sylve va se retrouver empêtré dans une sale affaire avec la guilde des épiciers avant d’arriver à son but, et ce n’est que le début des ennuis.
Ce qui partait comme une simple quête de rédemption se mêle à une trame politique mêlant le factotum, la société de Grish-Mère, la guilde des épiciers et quelques surprises en chemin. Sylve va être recruté par Thélban (qu’on avait déjà croisé) et sa guilde pour découvrir se qui se trame dans son dos, et il va ainsi rencontrer quelques alliés, ennemis, mais pour beaucoup ils sont quelque part entre les deux. La galerie de personnages est très intéressantes, on s’amuse à situer les relations qui les unissent en même temps que Sylve mais c’est un poil compliqué ! J’ai mis un peu de temps à rentrer dans le truc, entre Thélban, Lévain, Constance, Céleste et les autres, qui ont tous des relations un peu « libres », va comprendre ce qui se passe là-dedans… Et l’histoire joue avec cette confusion pour faire son petit twist rigolo qui va bien, au moment où tout est enfin en place et qu’on s’est attaché à ces gens.
Isabelle Bauthian reprend un peu le principe qu’on avait sur Anasterry, c’est-à-dire une fantasy raffinée qui brasse beaucoup d’idées et de problématiques sociales. Beaucoup de situations vont confronter des idéologies et des cultures opposées pour faire frémir un gros bouillon d’idées, un petit feu d’artifice de préjugés, de stéréotypes et de mépris qui se télescopent et laissent le lecteur se démêler dans tout ça. La bonne nouvelle, c’est que j’ai trouvé le procédé plus intéressant ici, moins binaire que sur Anasterry (ou alors c’est moi qui y ait trouvé plus de choses à digérer, c’est vous qui voyez). La culture de Grish-Mère est un modèle matriarcal pur jus, l’autrice y est allée à fond, culte de la Terre Mère, position sociale inférieure pour les hommes, avantage du genre féminin dans la grammaire, et même un rôle sacré des menstruations assez rigolo. J’avoue, au début et sur certains passages, j’ai trouvé ça un peu gros, on nous présente des positions idéologiques caricaturales qui zappent toute nuance.
Mais, finalement, sur ce coup-ci, j’ai plus adhéré. Le thème assez évident du féminisme est abordé certes avec de bien gros sabots par moments, mais le fait de lui opposer un contre-poids tout aussi subtil en la personne de notre cher Sylve permet de faire un joli cocktail. Parce que le héros de cette aventure est un bon vieux bourrin des campagnes, toute l’histoire nous est racontée de son point de vue. Quand il parle il prend ses manières de factotum civilisé prout-prout, mais à l’intérieur c’est une autre histoire, le monsieur a un langage assez… fleuri… Au début on se dit que c’est un gentil bœuf pas bien subtil au grand cœur, mais petit à petit on découvre son intolérance, ses petites touches de racisme, agrémentées d’un soupçon de misogynie. Il y va de ses remarques sur les « gonzesses », les « tarlouzes », les « dilués », et on commence à se dire que c’est un « pas si chic type » en fait.
Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait croire en lisant jusqu’ici ma prose merveilleuse, Grish-Mère ne se contente pas de poser un gros macho arriéré au pays des féministes hardcores pour les regarder se foutre sur la gueule (on a Twitter pour ça). On va aller un peu plus loin, parce que le propos interroge assez intelligemment l’origine de ces comportements, l’importance de l’éducation et du formatage des individus dans leurs interactions sociales. A travers son aventure, Sylve nous balance à la figure ses gros préjugés mais il fait un cheminement sous sa carapace, se détache de ses « paramètres d’usine » pour trouver sa vraie personnalité, aller chercher des valeurs quelque part et finalement se découvrir lui-même. On se rend compte qu’on a un roman initiatique appliqué à un protagoniste déjà adulte et extrêmement érudit, qui dépasse son éducation « parfaite » pour découvrir son vrai « moi » avec tous les bouleversements que ça implique. Et vu le bonhomme, ça fait quelques étincelles.
Bon après je parle idéologie et politique mais on a quand même un bouquin divertissant, avec de l’action, des personnages chouettes et une trame un peu complexe, ce qui fait que de toutes façons on passe un bon moment. Il faut juste aller au-delà de certaines apparences pour éviter de détester Sylve, parce que parfois c’est une sacrée tête de con quand même. Le bouquin se lit vite, y’a un bon tempo et une écriture fluide avec le ton bien particulier de ce héros, on s’ennuie vraiment pas. Petit détail, je sais pas ce qu’Isabelle Bauthian a avec le mot « mirette », on dirait qu’elle a fait un pari pour ne jamais utiliser « œil », « regard » ou aucun de leurs synonymes, du coup on a du « mirette » toutes les deux pages, c’est un peu redondant.
Au premier coup d’œil (ou de mirette), Grish-Mère est donc une aventure de fantasy enlevée avec des personnages hauts en couleurs, de la politique et des trahisons. Mais on découvre plus loin sous la couverture une histoire sur l’éducation et la recherche d’identité, quête complexe s’il en est. Isabelle Bauthian reste plantée bien droite sur son créneau à elle : une fantasy d’idées, sociale, divertissante et porteuse de sens, que j’ai trouvé plus équilibrée cette fois-ci.
Bouquin reçu en Service Presse de la part d’ActuSF, merci à eux.
J’aime pas trop les trucs politiques en fantasy. Alors, je vais gentiment passer mon chemin. 🙂
Haha, attention quand je dis politique c’est pas 100 pages de débats a l’assemblée nationale, c’est vraiment politique dans le sens de confronter des conceptions sociales
Chouette, ça me rend encore plus pressée de découvrir le roman 🙂
Ah ben hop, dans la pal^^ Il me faisait déjà de l’oeil, mais là tu m’as convaincu 😉
C’est le premier avis que je lis sur celui-ci. Du coup, ça m’a bien donné envie de le lire.
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