C’est toujours rafraichissant de voir un auteur de fantasy sortir du carcan médiéval à l’occidentale. Dans cette optique, Estelle Faye signe avec Porcelaine un roman qui va nous faire traverser la Chine à plusieurs époques de son histoire, un dépaysement bienvenu qui attise forcément la curiosité.
Nous suivrons à travers plus de mille ans le parcours de Xiao Chen, un fils de potier qui a été maudit et se retrouve avec un visage de tigre. Chassé de son village, il va intégrer une troupe d’acteurs itinérants et se servir de son apparence et de ses talents pour attirer les badauds. Bien sûr les péripéties ne font que commencer, nous croiserons des démons, un serpent géant, des petits singes teigneux très très énervés, le grand amour et beaucoup d’eau (il a pas de chance avec l’eau, on dirait). Bien sûr, Xiao Chen ne sera pas seul, l’auteur nous sert une galerie de personnages hauts en couleurs tels que Brume ou Pied-de-cendre qui vont graviter autour du héros.
Le roman évoque un conte chinois à travers une narration poétique pleine de symboles et de magie. Tout est affaire d’ambiance et les amoureux des univers asiatiques seront charmés par la prose d’Estelle Faye qui décrit tout ça avec subtilité. Le livre renferme un gros melting-pot de tout ce qui constitue une grande fresque chinoise, avec ses démons, sa magie mystérieuse, ses amours contrariés, ses combats de sabres et ses pagodes majestueuses. Chaque péripétie du héros semble cacher plus ou moins bien un sens symbolique, ou simplement une beauté intrinsèque qui se suffit à elle-même.
Pourtant, tout en reconnaissant ses qualités formelles et son évocation magnifique des légendes chinoises, je n’ai jamais vraiment réussi à me plonger dans l’histoire, j’ai même fini par m’ennuyer. Le livre a l’air de nous faire suivre un itinéraire un peu au hasard, parsemé d’évènements plus ou moins liés entre eux mais où le héros avance sans but. En effet, à force d’insister sur les ambiances et les symboles, on en survole presque les personnages qui m’ont semblé bien vides et sans vraie motivation, je n’ai jamais ressenti d’attachement avec aucun d’entre eux, j’ai mis quasiment deux semaines pour lire moins de 300 pages, ça veut tout dire…
Tout a l’air beaucoup trop rapide dans les évènements qu’on nous raconte, et du coup ça perd en force et en profondeur : On nous décrit la naissance d’un amour sans nous montrer une vraie intimité, la rencontre avec Li Mei est à la limite du complètement random et l’évolution de cette relation ne m’a jamais touché (« oh mais tu sais broder ? Quelle femme merveilleuse, j’ai bien fait de t’épouser complètement au hasard ! »). On nous conte une amitié millénaire en trois dialogues, même la rencontre entre Brume et Xiao Chen, qui conditionne toute l’intrigue, apparait survolée.
La plupart des avis sur Porcelaine son élogieux, et donc comme à chaque fois que je ne rentre pas dans un livre aussi plébiscité par les lecteurs, il convient de se poser des questions sur le contexte : Pas le bon moment pour cette lecture ? Pas la bonne attente par rapport au livre ? Aucune idée, et au final je m’en fous un peu. C’est sacrément beau, c’est bien écrit, mais le texte passe plus de temps à avoir l’air d’un joli conte chinois (il le réussit très bien) qu’à nous immerger vraiment dans une histoire prenante.
Le livre d’Estelle Faye évoque plus le genre de narration orale qu’on prendrait naturellement, si on est super doué, pour raconter cette histoire à des amis ou à ses enfants le temps d’une soirée autour d’un feu si cette histoire était beaucoup plus courte (y’a encore des gens qui passent des soirées autour d’un feu, au fait ?). Mais là c’est trop étiré pour tenir sur la distance sans travailler plus que ça sa construction d’intrigue et de personnages. Ça conviendrait par contre parfaitement à une nouvelle, où la morale, la chute, la symbolique seraient immédiates, uniques et directes… Un peu comme tous les contes quoi…
Porcelaine évoque avec talent l’imagerie de la Chine légendaire et nous plonge dans un univers dépaysant, mais son histoire et ses personnages manquent de la profondeur nécessaire pour passer du stade de « jolie fresque chinoise » à celui d’une belle aventure qui m’aurait vraiment emporté.
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