Jean-Laurent Del Socorro m’avait fait une très forte impression à la lecture de Royaume de vent et de colères, et l’auteur avait continué à travailler dans cet univers maintenant passé chez Argyll. Mais il a depuis entamé une incursion chez Albin Michel Imaginaire avec Morgane Pendragon que je devrais rattraper bientôt, il continue aujourd’hui l’expérience avec un second one-shot mythologique : Les amants du Ragnarök.
Après la mort de son amante, Jórunn décide d’aller la retrouver jusque dans la Valhalle, la grande halle où les guerriers morts au combat attendent le Ragnarök auprès d’Odin en s’entrainant sans relâche. En chemin elle croisera la géante Iarnsaxa, gardienne d’Yggdrasil qui se joindra à elle, parce qu’elle a aussi un but : Thor a vu en rêve sa mort prochaine, et Iarnsaxa veut trouver un moyen de changer le destin de celui qu’elle aime. Ces deux femmes vont défier les dieux et la mort par amour, alors que le Ragnarök approche.

Je suis de plus en plus friand de mythologie scandinave, et voir Jean-Laurent Del Socorro nous offrir sa version du grand crépuscule des dieux m’a énormément hypé. Bien sûr, l’écrivain va tourner la mythologie à sa sauce et nous livre ici une tragédie qui lorgne du côté d’Orphée et Eurydice mais en mode Asgardien, puisque Jórunn brave les dieux pour aller retrouver sa compagne, non pas en enfer mais au Valhalla. Pendant une grande partie du roman, pourtant, Les amants du Ragnarök restera très intime et refermé sur quelques personnages, tel une pièce de théâtre qui joue avec des scènes clés pour nous faire imaginer tout ce qui se passe autour. Et ça fonctionne extrêmement bien.
Le roman nous parle d’amour en évoquant des années de vie commune, des instants passés ensemble et une complicité profonde, là où la romance est presque toujours abordée dans nos histoires par la rencontre, le coup de foudre, la « conquête » de l’autre ou autre connerie du genre, terminant toujours comme une grande victoire là où, dans la vie, ce n’est que le commencement. Et ça fait du bien. Ici Jean-Laurent Del Socorro aborde l’amour, nous l’évoque, nous le fait ressentir par sa perte. Jórunn a perdu Hervor et Iarnsaxa doit se résoudre (ou pas ?) à perdre Thor, la quête du roman sera d’affronter l’impossible pour ces amours. Mais avec ces personnages on va revivre aussi les moments passés, on va vivre ce que le manque va laisser comme énorme crevasse dans les cœurs. Les amants du Ragnarök nous parle d’amour en nous parlant du deuil, et nous parle du deuil en nous parlant d’amour, de manière sensible et subtile on va suivre nos héroïnes qui refusent de vivre sans l’autre, à qui on enlève la moitié de leur être, et doivent se dépatouiller avec ça.
Face à elles on croisera quelques personnages des mythes nordiques, Odin, Heimdall, Freya, Loki, Hel, etc… L’intégration de ces quête intimes dans le grand cadre du Ragnarök est très bien articulée puisqu’on va se retrouver au beau milieu de cette grande fresque épique tout en continuant à jouer avec l’intime et les personnages. On est surpris de retrouver des relations familiales sincèrement touchantes entre Odin, Thor, Baldr et Loki dans un équilibre subtil de rancœur, d’amour, de devoir et de pardon. Les figures mythologiques sont abordées presque en opposition avec leur image traditionnellement cruelle et sombre. Les grands traits du mythe sont respectés mais c’est dans le personnel que l’auteur trouve son espace de liberté pour nous offrir des moments extrêmement touchants et réussis. Avec tout ça, on a un casting qui fonctionne vraiment bien et l’aventure touche au sublime grâce à l’équilibre de toutes ces relations et ces personnages. Mais je ne vous ai pas encore parlé du meilleur d’entre tous, parce que j’ai adoré l’écureuil Ratatosk et le livre ne serait pas le même sans lui. (Connaissez-vous la chanson qui lui est consacrée par Brothers of metal ?).
Pendant une grande partie du roman, Jean-Laurent Del Socorro a l’air de ramener toute la mythologie a une échelle très resserrée autour de quelques personnages, d’aborder le mythe dans l’intime et loin de la grandiloquence épique qui peut la caractériser par ailleurs. Pourtant il va basculer dans la dernière partie dans le vrai Ragnarök auquel on s’attend quand on nous vend la grande bataille finale dans un titre de roman, il le fait à sa sauce et capitalise sur tout le bagage émotionnel créé pour construire un final grandiose et épique, touchant et déployant les thématiques déjà abordées. Le roman pousse tout ça et le transforme dans sa dernière ligne droite en un ensemble émouvant qui coupe le souffle, transforme le Ragnarök en un prolongement de la réflexion sur le deuil et le renouveau.
Quel beau roman, Les amants du Ragnarök offre une relecture de la mythologie scandinave porteuse de sens. Il ajoute une profondeur dans la lecture émotionnelle des acteurices du mythe pour mettre en scène une histoire sur l’amour et la mort, en donnant encore une fois de grands rôles féminins dans un univers habituellement représenté comme une soupe de virilité bourrine.
Roman reçu en Service Presse de la part d’Albin Michel Imaginaire, que je remercie.
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : Albin Michel Imaginaire
Nombre de pages : 304
Date de sortie : 26 Mars 2025
Prix : 21,90€ (broché) / 12,99€ (numérique)
J’ai aussi adoré cette relecture à sa sauce du inspirée et intime. Tu as raison,c’est comme une pièce de théâtre et l’auteur maîtrise parfaitement cela, en deux tours de main, on est déjà dedans. Quelle efficacité !
Et ces destinées, quelle beau dans la liberté qu’il leur offre !
PS/ fan de Ratatosk aussi
D’ailleurs j’ai vu ton avis sur Babelio mais pas sur ton blog, tu l’as pas encore publié pour de vrai ?
Merci pour cette avis. Je n’ai jamais lu cet auteur et ce livre ne m’attirait pas du tout, la couverture, le titre, je ne sais pas vraiment quoi mais il ne me donnait pas du tout envie. Et bien à présent je pense que je vais le lire. Du même auteur il y a « Je suis fille de rage » que j’ai toujours voulu lire. L’avez vous lu? Je me fie beaucoup à votre avis car jusqu’ici je n’ai jamais été déçue de vos recommandations.
Bonjour !
Non je n’ai pas encore lu Je suis fille de rage, pour l’instant j’ai lu Royaume, du roi je serai l’assassin, Boudicca et celui-ci
Je partage tout à fait ton avis. J’aime beaucoup Jean-Laurent Del Socorro et je pense que celui-ci est un de ses meilleurs romans
Un roman d’amour qui me tente bien ! 😉