Du texte avec des couleurs dedans
Brandon Sanderson est un original, le mec il fait un livre de fantasy sans dragon, sans elfe et sans mage à chapeau pointu. Il se permet même de développer un système de magie, de religion et de politique jamais vu, cohérent et très sympa. Imaginez un monde où chaque personne possède un « Souffle », espèce d’énergie vitale qui permet une conscience un peu plus sensible du monde qui nous entoure. La base du bordel c’est qu’on peut céder son souffle à n’importe qui, mais sans souffle on devient un « Morne », on se sent un peu moins vivant, un peu insensible. Mais du coup on peut aussi en avoir plusieurs, voire des centaines, voire des milliers, vendre son souffle peut rapporter pas mal de pognon et en posséder beaucoup permet une sensibilité accrue à travers différents stades d’élévations, et surtout la possibilité d’utiliser la magie BioChromatique qui tire sa puissance de l’absorption des couleurs et permet de donner vie a des objets.
Partant de là, le bouquin raconte les tensions politiques entre deux nations : D’un côté on a Idris qui considère la magie BioChromatique et le commerce de Souffle comme une hérésie et leur religion prône l’humilité et l’emploi de couleurs ternes. En face il y a Hallandren, nation du luxe et des couleurs criardes, où les nobles se baladent avec des centaines de Souffles et où on habille les statues de rouge vif, jaune et bleu. A Hallandren résident également les dieux, un panthéon d’anciens humains qui sont morts et ressuscités. Ils sont revenus de manière mystérieuse, pourvus d’un souffle dépassant tous ceux des hommes et ont besoin de « consommer » le souffle d’humains toutes les semaines pour survivre.
C’est comme la politique, mais en bien
Mais, un système magique et politique ne suffit pas à faire un bon livre, ça en fait même un livre chiant en général (amis de la SF, bonjour). Pour faire passer tout ça, arrosez avec une petite bière… Euh, non, c’est pas ça… Donc pour faire passer tout ça, Sanderson nous raconte les aventures croisées de plusieurs personnages pour nous faire découvrir son univers complexe de manière agréable et progressive. On suit tout d’abord Siri, princesse idrienne envoyée à Hallandren pour épouser le Dieu-roi et ainsi calmer les tensions politiques et retarder une guerre imminente. Cette dernière va précéder de peu sa sœur ainée Vivenna, qui va la suivre et s’improviser espionne dans la capitale pour sauver sa cadette alors qu’elle y connait strictement rien (un peu conne, oui). En face on découvre Chanteflamme, un Dieu cynique qui ne croit pas en sa propre religion, qui ne sait pas pourquoi il est ressuscité et considère qu’il ne sert à rien.
Les aventures croisées de tous ces personnages vont mettre à jour les arcanes du fonctionnement politique de la cité, et nous faire découvrir qui tire vraiment les ficelles de tout ce beau monde. Ce qui est très fort c’est que, rétrospectivement c’est super compliqué et subtil comme univers. Mais la progression est tellement bien dosée qu’on comprend toutes les implications de tout ce qui se passe très facilement, c’est une histoire complexe mais très bien amenée avec des dialogues légers et drôles et des petites surprises tout le long. J’ai trouvé que sur une grosse moitié du bouquin, ça manquait un peu de rythme et ça prenait vraiment son temps, mais c’est peut-être le prix à payer pour amener le lecteur à suivre tout ça sans vomir son cerveau par les oreilles.
« Bah, on a tout le temps fait comme ça… »
J’ai beaucoup aimé les intrigues à la cour des dieux, les Rappelés sont isolés dans des palais et sont couvés par des armées de prêtres mais on se demande dès le début qui mène la danse. Le gouvernement a un fonctionnement bien huilé mais personne n’a l’air de savoir ce qu’il fait, tout le monde a l’air de subir des traditions que personne ne comprend et le but du jeu est alors de comprendre qui tire les ficelles de tout ça. Et Chanteflamme va commencer à fouiner partout sous ses airs de faux je-m’en-foutisme blagueur, c’est léger et très divertissant.
Warbreaker est finalement une lecture aisée, c’est une histoire certes complexe et un univers réglé de manière très (très très) mécanique, mais le ton reste fun, limite naïf, et les dialogues sont souvent drôles et légers. Et pourtant ça parle de trucs assez graves dans un contexte de presque-huis-clos, de guerre, de manipulation de pouvoir et de religion mais on ressent une volonté d’être positif, on s’attend à voir des licornes débarquer et tuer le méchant avec un bisou magique… J’exagère peut-être très légèrement… Mais c’est pas un défaut, ça donne un côté assez rafraichissant au ton du livre à une époque où on fait du toujours plus dark et dépressif.
Le seul gros point négatif c’est quand même cette couverture horrible… Qui a fait ça ? Qu’il se dénonce ! Sérieusement c’est pas super vendeur.