La vie éternelle n’est pas forcément super enthousiasmante. Plein de gens lui courent après mais tenez, le héros de Trois oboles pour Charon, roman de Franck Ferric paru chez Denoël, lui il s’en serait bien passé, de la vie éternelle.
Le roman nous raconte les multiples vies d’un grand gaillard condamné à ne jamais passer dans l’au-delà et à revivre les absurdités de l’humanité éternellement, donc dès qu’il trépasse il se réveille sans aucun souvenir pour un nouveau tour de manège. De l’antiquité à la fin du monde, on suivra ce colosse à travers les guerres de notre histoire, témoin de l’absurdité et de la violence des peuples à travers les âges, qui s’en prend plein la gueule au passage. Entre ses vies, il descend voir son pote Charon qui lui refuse systématiquement le passage vers l’autre monde.
L’écriture de Franck Ferric est superbe, on se sent immergé dans les décors et les ambiances de ce voyage. On est plongé au cœur de grandes batailles restituées avec précision dans toute sa cruauté et sa stupidité. Mais le récit garde un côté répétitif dans sa structure qui, même si c’est justement le propos, peut rendre la lecture un peu longue. J’ai mis du temps à le lire parce que malgré l’élégance de l’écriture et l’intérêt de la trame globale, il me manquait quelque chose pour m’attacher au héros qui n’a que très peu d’interactions avec les gens qu’il croise, il se contente d’essayer de survivre et de passer son chemin. Il vit la guerre, finit par crever, va voir Charon, ne comprend rien, puis se réveille 500 ans plus tard, et rebelote.
J’ai donc trouvé le récit un peu lassant par moments, ne lisant plus qu’à petites doses. On ne nous donne pas assez de nouveauté à mon goût entre chaque itération pour relancer l’intérêt, la malédiction du bonhomme se répercute alors sur le lecteur qui baille quelque peu. Mais c’est vers les deux tiers que Franck Ferric change la donne, nous balance le pourquoi du comment de la révélation ultime et laisse une échappatoire. C’est là que l’intérêt est relancé, notre héros prend de l’épaisseur, il a un enjeu, une histoire et un fond. Ainsi, vu dans son ensemble, le roman est puissant malgré une construction qui peut lasser au milieu. Il mêle habilement les mythes et l’histoire, nous raconte vraiment quelque chose de fort et reste cohérent avec son propos.
Les rencontres avec Charon sont très importantes aussi, cet employé des enfers blasé peste à chaque fois contre l’énergumène colossal qui revient sans arrêt. Le passeur commence à en avoir marre de répondre aux même questions à chaque fois, il a rien fait lui, il fait son boulot puis c’est tout. J’ai beaucoup apprécié ces interludes qui font office de fil rouge. Elles donnent de la profondeur et du liant à tout le reste qui, sans ça, n’aurait été finalement qu’une succession de nouvelles. C’est ce liant qui fait la cohérence et l’originalité du roman, qui lui donne du poids et de la pertinence.
Finalement, ce qui m’a le plus perturbé ne vient pas de la répétitivité, et ça ne vient même pas de l’auteur : Je trouve assez absurde que la quatrième de couv’ (et par la suite toutes les critiques, vu que c’était plus vraiment du spoil) nous donne carrément le nom du personnage principal, alors que le roman laisse planer une aura de mystère constante autour de ça pour l’amener sous forme de révélation ensuite. Le fait de le savoir dès le début en gâche énormément l’intrigue. Certes on peut le deviner au fur et à mesure, mais tout balancer avant même qu’on ouvre le bouquin, c’est priver le lecteur du plaisir de rassembler les pièces du puzzle, de découvrir par lui-même, de piocher dans sa culture pour recoller les morceaux. Le livre est construit comme un patchwork, un jeu de pistes qui permet ce cheminement de la part du lecteur. Je me suis demandé tout du long ce qu’aurait été ma lecture sans savoir, j’aurais aimé le découvrir moi-même, mais comme c’est écrit noir sur blanc (ou plutôt blanc sur noir) au dos du pavé, c’est raté.
Livre-concept épatant par bien des aspects même si un peu répétitif dans sa construction, il vaut vraiment le coup d’œil pour son originalité, la maitrise de son écriture et la portée de son propos. Et si vous n’avez encore rien lu dessus, cachez cette foutue quatrième de couverture. Ou prenez-le en ebook, ça marche aussi.
Lire aussi l’avis de : Raphaël Gaudin (Bifrost), Blackwolf (Blog-O-Livre), Xapur, Lorhkan,
Oui, on n’a pas toujours la même conception de ce que l’éditeur doit dire ou taire… Dommage si cela a tant d’importance.
A partir du moment où l’intrigue est basée sur un mystère et que l’éditeur balance tout en quatrième, je ne pense pas qu’on puisse parler de différence de conception entre ce que doit être le résumé selon l’éditeur et ce qu’il doit être selon le lecteur… C’est juste à la fois un gros irrespect envers l’auteur, le lecteur, et une forme de suicide commercial : quel est l’intérêt de lire une histoire faisant la part belle au mystère et aux révélations si on en connaît par avance la teneur ?
Ben je me demandais, vu que ça a perturbé personne, j’me dis que c’est moi qui suis tordu… :p
Bien sûr, mais l’éditeur va jouer sur le fait qu’on ne le sait pas à l’avance. Il faut être étrangement devin pour savoir à l’avance que telle information, potentiellement anecdotique, se révélera capitale. Si on ne peut plus faire confiance à un éditeur maintenant !?! (ah-ah)
Mais justement, c’est encore pire ! Je vais prendre un exemple précis : le Cixin Liu sorti récemment. Je lis la quatrième (c’est mal, je sais, mais j’aime bien savoir de quoi parle un livre avant de l’acheter), je lis pas mal d’éléments sur l’auteur histoire de faire une bio succincte pour ma critique,je m’aperçois qu’il accorde une grand evaleur au mystère et à sa résolution progressive dans la SF, je commence à lire le roman… et là je m’aperçois rapidement qu’Actes Sud a TOUT balancé sur la quatrième. A ce moment là, j’ai le sentiment d’avoir subi une GROSSE trahison de la part de l’éditeur, et je me dis qu’à part les cycles en cours, je ne suis pas près de racheter de la SF chez lui, vu à quel point il a un mépris de son lecteur en pondant des quatrièmes pareilles. Donc si le calcul était « on s’en fout, on balance tout, de toute façon ils ne pourront s’en apercevoir qu’après avoir acheté le bouquin », c’est raté, car si je me suis fait avoir une fois, ils ne m’auront pas la fois suivante.
De plus, en faisant ça, ils ont acquis une image assez déplorable, toutes les critiques sur ce bouquin soulignant l’idiotie de la conception (et de l’approbation…) de la quatrième.
Ah l’exemple d’Actes Sud est magnifique ! Et j’ai peur parfois que ce soit dû au fait qu’ils se veulent davantage axé sur la « littérature blanche » où l’intrigue passe bien après le style.
D’ailleurs, ça me fait penser aussi aux versions poche de La Roue du Temps où, certes, chaque 4e de couverture spoilait violemment les tomes précédents, logique, mais pire ils annonçaient allègrement ce qui se passait dans le tome concerné et, à de rares moments, aussi ce qui se passait dans le tome suivant. Aberration complète !^^
Tant mieux en tout cas s’il y a une conséquence logique sur leurs ventes futures, ils n’ont qu’à peaufiner leur travail éditorial jusqu’à la 4e de couv’ !
A lire vos commentaires, je m’interroge une fois de plus sur cette « angoisse du spoil » qui semble omniprésente de nos jours ! Le mythe de Sisyphe est assez connu finalement, donc soit on ne ne le connait pas et bof, pas de pb, soit on le connait et donc on a compris…
Il n’y a plus de réflexion, semble-t-il, ni de séparation entre narration et fiction…Tout est centré sur la fiction, sur le récit, peu importe le style ; d’ailleurs, on ne sait même plus ce que cela veut dire…
Je ne dis pas qu’il faut raconter sur la 4ème la fin du Meurtre de Roger Acroyd, mais quand même !!!
Et la séparation entre essai et roman, tu en fais quoi ? S’il s’agit juste de réfléchir sur un thème donné, j’achète un essai ; si c’est un roman que j’acquiers, je veux à la fois de la narration / fiction et de la réflexion.
« soit on ne ne le connait pas et bof, pas de pb, soit on le connait et donc on a compris… » -> Ben justement, l’intérêt et de le « comprendre » par soi-même en lisant, de suivre le cheminement vers ce qu’est réellement le roman. Le parcours de pensée du lecteur est important à mon sens ici, en le privant de cette progression on enlève en partie la force de l’intrigue.
« L’angoisse du spoil » est parfois exagéré, on est d’accord, mais là c’est l’essence même du roman qui est dévoilée. C’est un autre niveau que « bidule meurt à la fin de Game of thrones ».
Un livre que j’avais vraiment adoré, et superbement écrit.
C’est vrai que d’habitude je suis un anti-spoiler forcené et pourtant sur ce roman là, la quatrième de couv’ ne m’avait pas dérangé… Comme quoi on n’a pas les curseurs au même endroit sur ce sujet…
Par contre sur le Cixin Liu chez Actes Sud, c’est juste abusé cette quatrième…