Sebastien de Castell a fini cette année une de mes sagas préférées, mais son clavier devait le démanger violemment parce que le premier tome de sa nouvelle série est sorti même pas un mois après la fin des Greatcoats. Le passage à un tout nouvel univers est toujours délicat à négocier, et l’auteur canadien s’est lancé dans un créneau un peu différent avec Spellslinger : le young adult avec des apprentis magiciens.
Oui, j’ai entendu d’ici ton cerveau s’écrier « Harry Potter », noble lecteur, mais calme-toi je te prie. C’est pas tout à fait ça. Spellslinger nous raconte les mésaventures de Kellen, un initié Jan’Tep qui est à la fin de sa formation de mage. Avant ses 16 ans, il doit maitriser sa magie pour passer ses épreuves sans quoi il sera déchu au rang de Sha’Tep, un statut peu enviable qui revient la plupart du temps à finir serviteur. Pas de bol pour notre héros, l’échéance approche et malgré ses efforts, la magie a l’air de le fuir. Il trouvera peut-être de l’aide auprès de Ferius Parfax, la mystérieuse vagabonde qui vient d’arriver en ville et semble chercher les ennuis. A moins que le salut ne vienne de cette bestiole à poils qui a l’air de croiser sa route bien trop souvent.
La société Jan’Tep qui nous est présentée ici est profondément élitiste, les mages Jan’Tep se doivent d’être toujours dignes et calmes, et surtout ils sont évidemment supérieurs à ces ploucs (moldus ?) qui ne maitrisent pas la magie. Le statut de Sha’Tep est une disgrâce absolue, une honte sur la personne et toute sa famille alors qu’elle ne maitrise pas vraiment sa sensibilité magique, c’est simplement naturel, c’est là, ou pas. La plupart des bouquins « Young adult » commencent avec un héros spécial, celui ou celle qui a un don spécifique ou une caractéristique unique et qui va faire rêver le lecteur.
Mais Sebastien de Castell prend le contre-pied de ça, il part du postulat que Kellen n’a rien de spécial et se retrouve propulsé dans une aventure extrêmement dangereuse. Spellslinger retourne le schéma classique de l’élu et pose la question : qu’est-ce que tu fais si tu n’as rien de plus que les autres ? Son protagoniste essaye d’être un mage comme tous ses camarades mais il échoue. Il va faire face au rejet et au mépris de ses pairs, et ils seront pas tendres avec lui, on est souvent surpris par la cruauté de l’univers dans lequel l’auteur place son aventure. Encore une fois on a un roman catégorisé « pour ado » mais qui se lit très bien quand on a la trentaine et plus de barbe que de cheveux (ça c’est moi) ce qui pose encore une fois la question des étiquettes inutiles mais j’en ai déjà causé. Ici l’auteur utilise tous les éléments attendus de cette catégorie mais les retourne un par un. En plus du héros-élu, il explose les clichés sur les parents, les meilleurs amis, les professeurs, le parcours initiatique.
Au-delà de cette déconstruction méticuleuse on a surtout le plaisir de retrouver le talent de Sebastien de Castell pour les personnages et les dialogues. Je me suis beaucoup amusé à suivre ce héros complètement largué qui doit trouver sa voie tout seul en allant contre toutes les valeurs qu’on lui a inculquées, et il le fait avec panache. Ferius va être son anti-mentor pour l’aider à ouvrir les yeux grâce à son ton délicieusement méprisant, ses remises en question constantes et ses moqueries. Elle a quelques répliques vraiment savoureuses qui ne manqueront pas de vous faire sourire. Le clou du spectacle est aussi ce félin pas du tout adorable qu’on voit sur la couverture, espèce de Rocket Raccoon version chat-écureuil (mais sans flingue), réponse amusante de l’auteur aux animaux « familiers » classiques du genre.
On a quand même une trame mystérieuse qui se développe en fond et un world-building qui prend forme petit à petit, pour ajouter de la richesse à la recette. On est plongés dans une ambiance un peu westernisante avec du sable et de la poussière partout, des duels de magie et des cartes à jouer qui volent, ça donne à ce monde de fantasy une petite saveur particulière fort agréable. La magie de cette saga repose sur sept grandes branches (dont une interdite, évidemment) et les initiés se spécialisent dans une ou plusieurs de ces disciplines à l’aide de tatouages incrustés de métal qui ornent leur bras. Ils lancent des sorts en faisant des signes avec leur main à la Naruto, c’est très fun mais j’ai trouvé que le système était encore un peu… flou. La suite donnera peut-être un peu plus de rigueur à tout ça ?
Le livre nous parle de remettre en question l’ordre établi, d’aller à contre-courant, de suivre son instinct et son propre sens moral même quand tout est contre nous. Il s’amuse à jouer avec les codes et les attentes du lecteur. Quand la situation est désespérée et qu’on attend un bon vieux sauvetage miraculeux de la figure paternelle ou autre Deus Ex Machina quelconque, Kellen réalise que non, personne ne le sauvera et qu’il va devoir se démerder avec les moyens du bord, et il se bouge le cul, et c’est très fort. Oh il s’en prend plein la gueule au passage, il y a des moments de violence et de cruauté assez surprenants mais notre héros a du caractère et du cœur, de quoi séduire le lecteur à coup sûr.
Spellslinger est un démarrage très prometteur pour la nouvelle série de Sebastien de Castell, on y retrouve tout son talent dans un univers inédit et des thématiques nouvelles mais toujours avec ce sens du rythme, des dialogues et de l’inattendu. J’ai hâte de lire la suite pour voir si tout ça va encore prendre de l’ampleur.
Edit : Une version française est maintenant disponible chez Gallimard Jeunesse sous le titre L’anti-magicien avec une couverture bien sympathique que voici :
Moi qui m’attache (très) facilement aux compagnons/familiers dans les romans, je serai plus réservée avec cette boule de poils : elle a un air sacrément pas aimable, effectivement.
Ça a l’air sympa, en tout cas, je suis pressée d’avoir les chroniques de la suite, du coup 🙂
Bon, tu m’as convaincu. J’avais peur de l’aspect YA, mais là je suis complètement rassuré. Merci pour ta critique !
C’est comme avec la mer éclatée, plus je lis du young adult, moins je vois la différence avec le reste… A part que le héros est un ado.
Là l’intérêt c’est aussi le côté anti-harry-potter que j’ai trouvé fun.
Ma foi, je suis convaincue par ta critique! C’est vrai que le YA me lasse parfois sur une impression mitigée, mais cela ne semblera pas le cas pour ce roman.
Je lis très peu de YA donc j’ai peut-être su me préserver. Mes quelques incursions dans le domaine (via des auteurs appréciés par ailleurs comme Abercrombie ou De Castell) se sont révélé de bonnes surprises, peut-être justement parce que j’ai pris le haut du panier.
Oui, moi pas autant que toi, et j’ai failli abandonner la fantasy pour cette raison. Je lis Novik, qui me réconcilie avec la YA
Hum, ça a l’air sympa. Le YA me gonfle en ce moment mais si l’auteur déconstruit les stéréotypes, pourquoi pas?
Oui, comme je viens de dire à Lutin82 je lis vraiment pas beaucoup de YA donc j’ai pas forcément le même rapport au genre que toi, mais j’ai trouvé ce contre-pied très intéressant.
Merci pour la critique !
Il me tarde la traduction pour découvrir l’auteur et cette série qui m’a l’air bien prometteuse. En attendant, je vais aller jeter un œil sur La mer éclatée.
Tu ne devrais pas être déçu !
Oh mais voilà qui à l’air très sympa, je note ! en plus j’adore la couv’ (oui, je suis superficielle ^^)
Je crois qu’on est tous un peu superficiels 😀
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Merci de cette chronique qui m’avait donnée envie de lire ce livre. J’ai littéralement dévoré ce roman. Une fois commencé je n’ai plus pu le lâcher.
Pour ma part, je trouve la couverture un peu moins jolie chez Gallimard, mais mon niveau d’anglais n’aurait sans doute pas permis la lecture de la version anglophone.
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Tiens, je suis passée à côté de celui-ci ! Je note, tu m’as (amplement) convaincue !
Ça devrait te plaire, bonne lecture 🙂
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