Ils sont 23 dans cette « horde du contrevent » à vouer leur vie à une quête : Remonter à pied de l’extrême-aval à l’extrême-amont, région inexplorée et source des vents terribles qui balayent le monde. Ils sont la 34ème horde à contrer, les 33 précédentes ont échoué pendant les siècles passés, chacune laissant aux suivantes leurs connaissances, leurs techniques et leur expérience. Mais attention, quand je dis « vents terribles », c’est pas du p’tit mistral de chez nous, c’est un truc qui te soulève comme un rien et t’écrase contre une falaise au moindre faux pas ou au moindre appui mal assuré, qui te laboure le visage au sang, alors ils avancent en pack, variant la formation selon le type de vent, chacun assurant son voisin et encaissant une partie de la poussée pour les autres.
Les premières pages sont abruptes, cryptiques, on comprend pas tout, l’auteur utilise des signes et un vocabulaire complexe, déformé, inventé. De plus, la narration alterne les points de vue de chaque personnage régulièrement, signalant qui parle seulement par un petit caractère en début de paragraphe et changeant de ton et de registre pour chacun. Le tout est déroutant et le lecteur se retrouve à faire comme les personnages, on cale ses appuis, on baisse la tête et on contre le flux de mots sous Stabilo force 9.
Et puis on prend le rythme au bout de quelques dizaines de pages, on trouve ses repères grâce aux personnages qui s’interpellent et discutent entre eux et permettent ainsi de les situer les uns par rapport aux autres, grâce aux explications données au compte-goutte par chacun, ce qui reconstruit petit à petit l’univers devant nous. Et finalement on connait ces personnages, on apprécie la brutalité et l’optimisme binaire du Golgoth, le raffinement bienveillant de Pietro le Prince, les facéties de Caracole le Troubadour, la rigueur et l’attention d’Oroshi l’aéromaître, etc… Et l’auteur nous amène gentiment au milieu de la horde, on en fait partie et on vit avec eux.
L’univers développé dans la horde du contrevent est original et fouillé, tout est cohérent, parfois un peu pointu dans les concepts qu’il expose (thermodynamique, philosophie ?) mais reste accessible. Au delà de ça, il prend surtout aux tripes grâce à ses personnages, à la mission à la fois absurde et flamboyante qu’ils accomplissent pendant toute leur vie, les questionnements et les émotions que ça entraine, à leur force de caractère quasi-surnaturelle et les relations qu’ils entretiennent. Certains y trouveront une réflexion sur la vie, d’autres un essai philosophique, ou simplement une putain d’aventure bad-ass qui troue le cul (terminologie littéraire approuvée par l’académie française… ou ça devrait).
Le livre est splendide aussi dans sa forme, l’amour de la langue française dégouline de partout, les mots sont précis et Alain Damasio s’amuse avec : jeux de mots, poésie, réflexion, contes, ou simplement le rythme de la prose et des dialogues… La grande joute verbale entre Caracole et Sélème à Alticcio m’a scié, franchement à ce niveau-là on s’étonne pas qu’il ponde qu’un bouquin tous les 5 ans parce que ça doit être un boulot de malade. La structure du texte aussi participe à emporter le lecteur, chaque étape du voyage est un chapitre et à chaque fois on démarre en plein dans l’action pour reconstituer le fil des évènements passés par bribes, petit à petit. Ça fait qu’on n’a jamais de vraie baisse de rythme, on lâche pas le bouquin.
La horde du contrevent est un bouquin magistral qui fonctionne en bourrasques, fond et forme confondus, et il m’a bien emporté. Lisez ce livre, c’est tout, il se trouve en poche chez Folio SF ou en pas-poche et en numérique aux éditions La Volte.
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Terminé hier, j’ai été un tantinet déçu par sa fin que j’ai trouvé un peu trop abrupte.
Aujourd’hui, objectivement je sais que je l’ai été parce que je suis tombé amoureux de la qualité d’écriture et qu’Alain Damasio me manque ce matin. J’en voulait encore.
Les personnages sont emblématiques, travaillés, voire complexes. On s’attache à chacune des pensées de chacun, on vit dans ce groupe. On partage leur point de vue, on est plus ou moins d’accord avec leurs logiques propres mais on les comprends.
J’ai rarement autant souri devant une habileté à manier la langue française, devant certaines tournures de phrases ou devant tel mot inventé et cette magistrale joute verbale (qui m’a fait rater ma station de métro …). Pour tous ces moments, j’avais envie de serrer la paluche de l’écrivain et lui dire droit dans les yeux « Merci ».
Je suis amplement d’accord avec toi sur l’ensemble de la critique et ce petit bijou vient ce placer dans mon petit top des bouquins à recommander chaudement !
Merci à toi pour cet article qui m’a poussé à le dévorer !
Heureux de t’avoir incité à découvrir ce grand roman !
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Belle chronique!
Je viens d’en publier ma chronique ce weekend et j’ai bien aimé lire La Horde du Contrevent, même si je suis novice en SFFF et que j’ai trouvé quelques longueurs vers la fin. Ce roman est en effet déroutant, par son originalité, mais il a une portée politique qui m’a séduite, et tu soulignes en effet son amour de la langue, qui transpire à chaque page! Quant à Golgoth, tu dis qu’il est brutal mais c’est plus que ça: il est misogyne. Je ne sais comment l’interpréter, vers la fin du roman il regagne un peu de sensibilité, mais de là à être moins misogyne, je n’en suis pas sûre.
Il est misanthrope plus exactement. S’il considère que les femmes sont naturellement faibles et inutiles, il n’en pense pas moins de la plupart des autres. Il est élitiste au point même qu’il crée, avec le vif de son frère, son propre chemin sous ses pas. D’ailleurs, le style de Damasio est élitiste, ses histoires et ses personnages le sont. Cela est très bien mis en lumière dans « La zone du dehors ». C’est d’ailleurs toute la portée politique de ses écrits : on ne peut lutter contre un modèle dominant sans être élitiste, c’est-à-dire jusqu’à surpasser le modèle dominant lui-même. Ses nouvelles offrent un éclairage plus léger là-dessus.
Et l’élitisme, dans son sublime, apprend aussi à regarder vers le bas à un moment. Il sait se retourner vers la médiocrité d’où il vient avec « sensibilité » pour reprendre votre terme, compassion, nostalgie, mélancolie,… j’imagine qu’il y a de nombreux termes adaptés à cette attitude qui ressemble à « l’éternel retour » nietzschéen (et Damasio est assez nietzschéen de son propre aveu).
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