Pour replonger dans le monde envoutant des Sentiers des astres, il fallait le bon moment, le bon contexte. Non, on ne lit pas Shakti (le second tome de la saga de Stefan Platteau) n’importe comment. Il fallait être au calme, de préférence avec des petits oiseaux qui chantent et des arbres partout. Voilà, maintenant on est bien, on peut y aller.
Dans Manesh, nous avions laissé nos amis bateliers en fort mauvaise posture. Acculés dans une caverne, traqués par les cruels Nendous, l’affaire semble pliée. Cette suite démarre directement là où le livre précédent nous avait laissé, et nous fait découvrir la suite des péripéties de l’enfant solaire et ses compagnons. Nous restons plongés dans cette atmosphère si particulière de fantasy exotique où les récits se croisent. L’art du conteur est toujours aussi important chez l’auteur, et si Manesh mélangeait l’aventure des gabarres au récit raconté par le mystérieux rescapé, ici c’est un autre personnage qui s’y colle. Et bon, c’est dans le titre donc on va pas en faire un mystère, c’est bien Shakti qui va nous conter son histoire au coin du feu.
Pourtant, l’alternance présent/passé n’est pas aussi diluée que précédemment, il faudra attendre la moitié du bouquin pour se poser et écouter la courtisane nous conter son dit. Avant ça, c’est bien l’aventure de l’expédition de capitaine Rana qui continue, et de fort belle manière. Les péripéties de la troupe sont mouvementées, désespérées et éblouissantes à la fois. Il leur faudra tenter le tout pour le tout pour s’en sortir, et avoir un peu de temps pour se raconter les uns les autres. Pendant ce temps, les tensions montent dans l’équipage, méfiance et trahisons sont au menu, la dynamique de groupe est admirablement bien gérée et permet une immersion totale du lecteur. Fintan le barde nous réserve un des moments les plus mémorables de la saga (jusqu’ici) avec son chant qui s’élève dans une scène magnifique.
Au passage nous découvrons le mystérieux peuple des Teules aux fascinantes coutumes de sauvages bizarroïdes, dont la découverte constitue une respiration après tant de tension accumulée. Et c’est là que la dame du groupe va pouvoir se poser pour commencer le récit de sa jeunesse, pour nous transporter dans un tout autre univers. Elle va nous embarquer dans son enfance dans les forêts du grand nord, dont sa mère est le seigneur chamane, régnant sur les bois, ses habitants et ses animaux fantastiques. Shakti évoquera les erreurs de son enfance qui l’ont poussé à l’exil à travers une tragédie digne des grands mythes antiques, avec ses erreurs, châtiments et rédemptions.
La jeune Nisù évolue dans un monde très proche de la forêt dont les croyances sont liées aux arbres et aux animaux. Parmi eux vivent des bêtes centenaires mystiques qu’il faut respecter et craindre, dont l’ourse carnassière qui sera le centre de cette tragédie. Ces animaux sont l’équilibre de leur monde mais on nous présente une suite d’évènements qui reflète l’éternel problème de l’arrogance humaine face à la nature, un sentiment de supériorité et le droit de vie et de mort que nous nous octroyons sur les autres espèces. Jusqu’à ce qu’on tombe sur un os… Un os de quelques tonnes… Ce thème est développé de manière très subtile et intéressante, c’est pas non plus méchant-étranger-veut-couper-arbres-et-chasser-animal, la problématique est complexe, finalement très humaine et abordée avec tact.
Derrière cette construction en deux parties on retrouve toute la beauté de l’univers des Sentiers des Astres, que ce soit le début avec l’aventure de Fintan et sa troupe ou dans la seconde moitié avec la jeunesse de Shakti, Stefan Platteau réussit encore à nous transporter dans son monde plein de poésie, de magie et de créatures fantastiques. Ce second tome est au moins aussi prenant que le premier, avec cette fois-ci un rythme plus soutenu et mieux maitrisé. Et puis y’a une ourse bad-ass. Qu’est-ce qu’on pouvait avoir de plus cool que ça ? Seule (toute petite) ombre au tableau, on est un peu frustré par la fin qui termine au milieu de l’histoire de Shakti, laissant une grande partie de son mystère non résolu, et on s’attend à avoir un « Shakti 2, le retour » pour comprendre vraiment le personnage. Ça n’enlève rien aux grandes qualités de l’ensemble, mais on reste un peu sur notre faim par rapport à ce personnage.
Shakti confirme (si certains en doutaient encore) que Stefan Platteau est un grand monsieur de la littérature francophone. Après Manesh et Dévoreur, ce roman est une nouvelle petite merveille qui invite au voyage. Et j’ai envie de lire la suite… Elle est où la suite ?
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