Servitude est une BD qui surprend au milieu de toutes les parutions fantasy qui, bien souvent, ne brillent pas par la complexité de leur histoire et finissent par un peu toutes se ressembler. Attention, je ne dis pas que les bandes dessinées ont des histoires de merde, mais en général le scénario est assez « simple » pour tenir un 52 pages en mode détendu, avec des temps de respirations, qu’on peut lire relativement facilement. Ici, c’est tout le contraire, la BD d’Eric Bourgier et Fabrice David est complexe, dense, et demande une lecture attentive donc si vous lisez ça pour la première fois, évitez la lecture de toilettes ou en jouant à Candy Crush à côté (déjà si vous jouez à ça, je vous déteste).
Servitude est donc une BD médieval-fantastique sombre et politique, qui démarre par le mariage de Kiriel le maitre d’armes avec la fille du roi Garantiel D’Anoroer. Mais dès la fin des festivités, le roi apprend l’anéantissement d’une de ses légions par les Drekkars, une guerre commence et Kiriel est envoyé sur les lieux pour demander des comptes au prince de Vériel, voisin et allié qui occupe le coin. C’est le début d’une avalanche de complots, trahisons et combats qui vont foutre le bordel dans le monde. Le scénario à tiroirs nous emmène toujours plus loin dans les implications des différents côtés du conflit et on se rend vite compte qu’entre gentils et méchants, on sait plus très bien de quel côté se trouve qui et qui manipule qui. C’est du travail d’orfèvre, et c’est passionnant.
Évidemment, on peut tout de suite faire le rapprochement entre cette BD et Le trône de fer de George RR Martin. Servitude est différent dans le propos et à son propre univers mais on retrouve le même ton sombre, les même retournements de situation implacables, la même âpreté et la même cruauté dans le monde moyenâgeux décrit. Mais là où le vieux barbu alterne les points de vue à chaque chapitre, notre BD adopte une alternance à l’échelle des tomes. Chacun va nous montrer les évènements d’un point de vue différent pour éclairer chacun des aspects de la guerre. Ainsi, le premier et le troisième tome sont surtout centrés sur les fils de la terre, le second change complètement de camp et se focalise sur le peuple Drekkar, tandis que le quatrième concerne surtout les Iccrins. Le cinquième et dernier livre n’est pas encore sorti, on se demande bien comment ils vont finir une série aussi dense avec un seul tome !
Cette narration donne au lecteur une vue d’ensemble d’une situation plus complexe qu’il n’y parait, mais surtout, on a rarement vu un world-building si riche et travaillé en BD. Chaque peuple a son identité, son fonctionnement, son histoire et encore, on sent qu’ils en ont gardé sous le coude ! Ils ont tous une mythologie commune qui les place sous la bannière d’ancêtres légendaires comme les géants, les dragons ou les anges, on en apprend par toutes petites touches là-dessus pour ne pas noyer le lecteur mais ça intrigue énormément. On a aussi des annexes en fin de BD qui détaillent plein de choses très intéressantes sur tout ça, mention spéciale pour la fin du tome 3 qui récapitule et cartographie la grand bataille qui vient de se dérouler dans la BD et éclaircit la chronologie, c’est très bien fait et apporte un gros plus à l’ensemble. Bon, tout ça peut faire peur mais ce n’est pas indigeste pour autant, tout est fait en finesse et la série reste très agréable à lire grâce à des personnages intéressants et subtils qu’on a plaisir à suivre.
Avec tout ça j’ai pas encore parlé du dessin, et pourtant en prenant le premier tome entre les mains, ce qui frappera le lecteur c’est la précision du trait, le détail des armures, les expressions des personnages, les décors somptueux… Le trait d’Eric Bourgier est magnifique, chaque planche est une petite œuvre d’art et doit nécessiter des jours de boulots. Pas étonnant que chaque tome prenne un peu son temps pour arriver, entre l’histoire hallucinante et la qualité graphique, les mecs se défoncent et livrent un truc dont le niveau survole la concurrence de très très loin. Le seul petit reproche que je ferai au graphisme est que le rendu sépia, même si c’est beau, peut nuire à la lisibilité de certaines situations, les personnages se différencient moins, les plans aussi, du coup il faut parfois faire un effort supplémentaire pour savoir « Qui est ce type, déjà ? Le père, le frère, le mari ? Ils sont tous blonds et barbus, merde ! ».
Il reste un dernier tome à découvrir, mais je crois que je peux déjà ranger Servitude à côté de son copain Universal War One sur l’étagère des « best BD ever du monde ». Et comme souvent, on peut retrouve une petite preview par ici, histoire de donner envie.
Lire aussi l’avis de : G. Colié (BD Gest), Fef (Sceneario)
Je me suis arrêtée au premier tome mais j’avais beaucoup apprécié. Merci pour ta critique qui me donne bien envie de poursuivre cette série 🙂
De rien !
Le temps d’attente entre les albums est assez long, j’avais aussi perdu la série de vue entre le 2 et le 3, mais j’ai rattrapé