En début d’année, Grégory Da Rosa avait créé une petite surprise en sortant son Sénéchal chez Mnémos, avec son style si particulier, son univers médiéval religieux et son héros attachant. Tout le monde était sur les dents à cause du cliffhanger qui a fait rager les foules, nous voici donc à nous jeter sur le tome 2 pour voir ce qu’il en est (et si vous avez pas lu le précédent, passez votre chemin, évidemment on va le « divulgâcher » à mort).
Et oui, le tome précédent se terminait sur une pirouette dramatique, une tragédie en une ligne, un climax de tension qui vous claque la porte au nez. « Le roi est mort ». Bim, dans ta goule, comme dirait l’autre. C’est à ce moment que le second roman reprend, la stupéfaction, la panique, la voie ouverte à tous les complots. L’ennemi est toujours aux portes de Lysimaque assiégée et les syncraliers toujours enfermés après la débâcle apocalyptique du premier tome. Pourtant les intrigues se glissent toujours dans l’ombre à la cour du roi Édouard, le Sénéchal Philippe Gardeval va devoir la jouer fine pour lire entre les lignes et démasquer les félons. Épaulé par quelques fidèles amis, il garde un œil sur la belle Sybille, héritière du trône qui porte un bien lourd fardeau.
Le contenu de ce paragraphe sera un peu spoilant sur le début du roman mais je suis obligé pour aborder une réserve que j’ai eu sur ce livre à propos de la gestion du cliffhanger, justement. Si vous voulez garder la surprise de ce qui est arrivé au roi, je vous suggère de bondir directement au paragraphe suivant.
J’ai aucun problème avec la frustration du cliffhanger, ça m’amuse assez, même si sur le coup on est toujours un peu couillon devant le livre qui se referme. Ce que j’apprécie moins, c’est un cliffhanger qui se désamorce de lui-même au début de l’épisode suivant. C’est courant en séries télé pour faire du suspense à pas cher, mais ça fait un peu foutage de gueule, et c’est précisément ce qui arrive au début de Sénéchal 2. « Le roi est mort », le lecteur s’emballe, imagine et se projette, il achète le tome suivant et « non, je déconne, en fait il est pas mort ». Désolé, je trouve ça « cheap », avis tout à fait personnel…
Tout ça mis à part, sénéchal 2 démarre sur des chapeaux de roues, Philippe va traverser la foule pour rejoindre la dernière position connue du roi, il va devoir gérer la panique et la tension. Après un premier acte mouvementé le rythme retombe pour laisser un peu d’air et amener un gros bout de background, un peu massif mais il faut avouer que c’était bienvenu. Ma mémoire avait passé beaucoup de choses à la trappe depuis février et j’étais un peu paumé dans toutes les factions et conflits qui nous reviennent dans la poire de manière assez confuse. Le roman arrive à tout remettre en contexte en nous éclairant énormément sur la mythologie de Lysimaque et les conflits idéologiques qui y prennent place. Le tout est solide et très intéressant quand on arrive à tout rassembler même si ça fait un peu « gros déballage ». Ça nous permet de plonger plus avant dans cet univers, ses mythes fondateurs et ses guerres de religions. Tout ça est toujours fortement influencé par notre église chrétienne avec des ponts assez évidents, on explore des questions de fanatisme, de perspective, de politique, et simplement de gros mabouls qui se tapent dessus parce qu’ils sont pas d’accord sur la manière dont les voisins voient leur religion.
Dans l’ensemble, le roman ressemble beaucoup au premier, l’action avance lentement, il y a beaucoup d’introspection et d’observation, des silences et des échanges de regards. On a droit à des scènes très tendues, ou parfois très touchantes (Notamment avec le fils et la femme de Philippe), l’auteur construit à fond l’immersion et l’ambiance, parfois au détriment du rythme. Certaines conversations prennent un bon paquet de pages, certains temps de contemplation s’étirent beaucoup aussi. Pourtant, j’aime toujours beaucoup sa plume et le langage « médiévalisant désuet » qui donne beaucoup de musicalité à la prose. D’autres ont pu trouver ça trop lourd mais pour le coup, moi j’adore ça. D’ailleurs les deux premières pages m’ont fait peur, avec un combo « putain-couilles-enculé » qui m’a semblé un peu décalé par rapport au reste, mais heureusement notre Sénéchal se calme un peu par la suite et on retrouve son style plus mesuré.
Beaucoup de soin est apporté aux personnages secondaires aussi, qu’ils soient amis fidèles, ennemis mortels ou quelque part entre les deux, on explore leurs motivations, leurs personnalités, leurs travers. Chacun a une histoire, et un grand rôle sur l’échiquier de Lysimaque. Et, comme dans le précédent, il y a une ou deux scènes « d’action » qui marquent les temps forts de l’histoire. Une au début dont j’ai parlé plus haut, et une dans les 100 dernières pages qui sera le point culminant de ce tome avec une grande scène de bataille. Mais Grégory Da Rosa ne fait pas de son héros un guerrier pour autant, le sénéchal reste fidèle à lui-même, observateur prudent, bretteur maladroit à l’occasion, diplomate impuissant la plupart du temps. Lui joue dans les coulisses, il nous montre les ficelles et les rouages de tout ce foutoir, les coups de génie et les erreurs qui ont été faites, y compris les siennes parce qu’il est pas tout propre le Philippe, oh non. Et la fin de ce roman nous le confirme, accompagné de son cliffhanger attendu.
Sénéchal 2 est dans la parfaite continuité du premier, une voix (et un style) atypique dans la fantasy qui brille quand elle explore la psychologie de ses personnages, les relations et les rancœurs. C’est dans l’exposition de son background et de ses rouages politiques qu’il est un peu plus confus si, comme moi, on a la mémoire un peu courte. Mais on y arrive, ça revient petit à petit, et on découvre avec grand plaisir cette aventure au rythme si particulier.
Bouquin reçu en Service Presse de la part de Mnémos, merci à eux
Lire aussi l’avis de : Apophis (Le culte d’Apophis), Bouchon des bois (Les lectures de Bouch’), Dup (Book en stock),
Pas beaucoup d’originalité dans mon commentaire : je vais attendre le tome 3, certaines critiques m’ont marquée et je verrai donc si le dernier tome m’inspire ou pas.
C’est prudent, c’est bien 😀
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Très, très globalement, nous sommes d’accord (particulièrement sur l’objet de ton spoiler, j’ai trouvé ça abusif moi aussi), notamment sur le fait qu’on pourrait presque faire le même genre de critique sur ce tome 2 que sur son prédécesseur. Par contre, de mon côté, j’ai eu beaucoup plus de mal avec la première moitié, et mon ressenti global est plus critique. mais bon, ce n’est pas encore sur ce coup là que nous serons en complet désaccord (ça commence à devenir inquiétant, d’ailleurs 😀 ).
Oui, je pense être plus réceptif à son style et à son rythme, même si je comprends tout à fait qu’on n’aime pas cette lenteur. C’est pour ça que je souligne cette caractéristique.
Par contre j’ai moins ressenti cette coupure dont tu parles. C’est sûr que le rythme accélère sur le dernier tiers, mais j’ai pas ressenti de basculement qualitatif comme toi.
Après, effectivement, on se rejoint sur pas mal de points 🙂 encore…
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Concernant la suite de Sénéchal, Apophis m’a refroidi, surement l’un de ses traits lié à sa condition de serpent, quant à toi, petit ours, tu me réchauffes. J’hésite vraiment à lire ce tome 2.
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