Sénéchal est le premier roman de Grégory Da Rosa, et Mnémos a mis le paquet pour mettre en valeur son dernier coup de cœur, avec les superlatifs et le name-dropping qui va bien. Bon, la dernière fois qu’ils ont fait ce coup-là on s’est retrouvé avec Eos, donc j’y suis allé prudemment…
Sénéchal nous emmène dans la cité de Lysimaque pour suivre trois jours dans la vie de Philippe Gardeval, sénéchal du roi Édouard (oh, comme dans le titre, dites donc !). Évidemment, ça ne sera pas trois jours de promenade en forêt, vous pensez bien : Il se trouve qu’au tout début du premier jour, on apprend que la ville est assiégée et son rôle va amener notre Philippe au milieu des nobles et des soldats pour superviser l’organisation des défenses, mais la menace n’a pas l’air de se trouver seulement de l’autre côté des remparts… On va traverser trois jours très mouvementés dans la capitale, intrigues, trahisons et grosses bastons seront au programme.
Le roman démarre de manière très intimiste, Philippe Gardeval est le seul narrateur et il va nous trimballer dans cet imbroglio avec sa perspective à lui. C’est un procédé que j’aime beaucoup, découvrir un univers d’un point de vue unique (et pas du tout omniscient) permet au lecteur de plonger progressivement dans le monde que l’auteur propose. Grégory Da Rosa réussit parfaitement à nous plonger dans son intrigue en amenant ses éléments de background au compte-goutte. Au début on a juste une cité médiévale assiégée, classique « as fuck », et petit à petit on apprend véritablement comment fonctionne le monde qui nous est dévoilé. Cette plongée progressive permet une immersion tout en douceur dans ce monde, avec son équilibre précaire entre humains, anges et démons, sa genèse fort amusante et ses personnages hauts en couleurs.
Ces personnages, justement, sont un des gros points forts du roman, à commencer par notre héros. Parce que c’est un bon gars, le Philippe. Gestionnaire humble et grand ami du roi, il est observateur, malin, mais pas du tout un héros : En cas de baston il préfèrera se planquer vaillamment. Il a des forces et des faiblesses mais reste très humain aux yeux du lecteur. Il fait de son mieux pour servir son roi, et au milieu de tout ça on découvre sa vie, ses doutes, sa famille et ses ennemis à la cour. Le roi Édouard est son quasi-opposé, surnommé « Le sanguin », il est charismatique, impulsif et colérique. Aux côtés des deux amis gravitent les nobles, les religieux et les gens d’armes, parmi lesquels on retrouve des personnages très intéressants à la personnalité travaillée. Toutes les interactions entre ce beau petit monde est le squelette de l’histoire, c’est fait avec soin et permet une progression fluide et une immersion sans faille.
Une fois le lecteur accroché à son protagoniste, Grégory Da Rosa peut commencer à vraiment s’amuser avec ses retournements de situations, ses joutes verbales et ses scènes d’action impressionnantes. Parce que oui, Sénéchal est très rythmé, c’est pas parce qu’on fait de la fantasy immersive moyenâgeuse crédible qu’on peut pas faire des grosses bastons avec de la magie et des démons, faut bien s’amuser de temps en temps ! Le lecteur reste scotché au roman de bout en bout, chaque chapitre relance le tempo sans faiblir. Ça veut pas dire que c’est un actionner débile, le rythme peut autant être soutenu par une scène d’action que par un dialogue ciselé avec soin.
La religion a une place très importante dans l’histoire, le clergé de Lysimaque est puissant avec de très gros airs d’église chrétienne. Comme on nous cause de démons, d’anges et de guerre sainte, le lien est vite posé. Mais à travers ça, on interroge aussi la foi de nos personnages, les évènements vont vite prendre des allures de début d’apocalypse et la question se pose : Est-ce qu’on est bien dans le bon camp ? J’ai trouvé cet aspect du roman très intéressant, les évènements racontés sont à une échelle tellement loin au-dessus de nous que Philippe se demande vraiment si ils font pas une connerie, il se fie à sa foi, à ce qu’il voit et croit, mais n’a pas toutes les réponses donc… Ben il essaye de trouver un sens à tout ça sans trop rien comprendre et remet en question ses croyances.
Enfin, on ne peut pas parler de Sénéchal sans évoquer le style d’écriture adopté par l’auteur. Grégory Da Rosa prend le parti de travailler son texte en gardant un vocabulaire d’époque, les tournures de phrases, les équipements, vêtements et expressions restent souvent dans un vieux français qui colle avec le cadre, à l’opposé d’auteurs qui vont faire de la fantasy avec du parler moderne. J’ai pas spécialement de préférence pour l’un ou pour l’autre, mais quand on se range dans le camp de Sénéchal, faut pas se louper, ça peut devenir vite pompeux et rédhibitoire pour le lecteur. Heureusement pour nous, ici le texte reste fluide et compréhensible. Ça renforce même l’immersion avec ce style très moyenâgeux vraiment bien travaillé, les quelques mots inconnus ou compliqués bénéficient d’une note explicative en bas de page mais la plupart du temps, on devine à peu près avec le contexte et la construction du mot en question. Petite parenthèse, faudra vraiment trouver un moyen de mieux gérer ces trucs sur le format numérique, parce que les notes sont toutes regroupées en fin de chapitre et c’est chiant d’aller voir, du coup je faisais quasiment jamais l’effort ou j’attendais de finir le chapitre. Mais bon, c’est une autre histoire.
Roman de fantasy dans un moyen-âge crédible au style travaillé, Sénéchal reste intimiste et immersif pour mieux nous emporter dans sa mythologie et ses intrigues de cour. Grégory Da Rosa accouche d’un premier roman remarquable, structuré, rythmé et attachant. Attention aux allergiques à la frustration, on finit sur un bon vieux « cliffhanger » des familles, lâché un peu brusquement sur la dernière phrase, et là, paf, t’as envie de lire le tome 2 tout de suite. Mais il existe pas encore. C’est ballot.
Lire aussi l’avis de : Boudicca (Le bibliocosme), Apophis (Le culte d’Apophis), Salveena (Le comptoir de l’écureil),
Ton retour est complet, personnellement je suis moins réceptif à certaines parties de l’univers. Mais c’est un bon premier roman, ça c’est certain. Le côté cliffhanger à la fin est frustrant.
Je l’ai fini cette semaine, il faut que je m’attelle à la chronique 🙂
Yep, moi j’étais complètement dedans. L’aspect le plus clivant semble être le style old-school mais moi ça m’a plu
Le final est effectivement très frustrant, mais c’est plutôt bon signe ^^ Je vois que (à l’exception du style peut-être) nous avons plus ou moins le même ressenti 🙂
Ouais ! Vivement la suite ! 😀
Les retours sont nuancés – ce que j’aime bien – et du coup il m’intrigue alors qu’initialement je n’étais pas plus tentée que cela. Comme il s’agit d’une trilogie, je vais attendre que cela se confirme sur le tome 2 et si c’est la cas, je franchirai le pas.
Merci pour cette critique bien complète qui m’aide beaucoup. 😉
De rien ! Avec les diverses critiques qui sont sorties et qui vont sortir, tu pourras te faire une bonne idée de si c’est ta came ou pas.
Le « parler jaquouille » est plutôt agaçant au début, ainsi que l’imparfait du subjonctif systématique ; mais l’histoire est plutôt bien construite et le récit à la 1ère personne permet de faire découvrir ce monde…Un bouquin plaisant, je suis en train de le finir…
ta chronique donne envie