Quelques mois après les deux premières salves de « Une heure lumière », Le bélial’ nous balance les deux livres suivants de la collection (numérotés 5 et 6), toujours avec le très chouette graphisme d’Aurélien Police. Un pont sur la brume de Kij Johnson et L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu sont sortis tous les deux le 25 Août, et comme je suis un peu psychorigide je lis dans l’ordre, c’est donc du premier que nous allons parler ici.
Un pont sur la brume est un roman court de 120 pages écrit par Kij Johnson en 2011 et qui a raflé quelques prix prestigieux (Nebula, Hugo). On y suit Kit Meinem d’Atyar, envoyé à Procheville pour reprendre en main un chantier d’envergure : La construction d’un pont qui traversera la rivière de brume sur 400 mètres jusqu’à Loinville, son homologue d’en face. L’empire est coupé en deux par ce cours étrange que seuls quelques passeurs expérimentés osent traverser, freinant tout commerce et développement économique entre ses deux rives. Mais on ne parle pas d’une brume comme celle que nous connaissons ici, cette dernière est dense, compacte, à tel point que les bateaux des passeurs peuvent naviguer sur ses vagues et ses creux, quelque part entre une ballade en traineau et du rafting sur chantilly. Elle est traversée par des créatures énormes et quasi-mystiques, craintes par tous, les Géants.
Lorsque Kit arrive à Procheville, il devra organiser ce chantier colossal, rassembler des centaines de spécialistes dans diverses spécialités pour mener à bien l’ouvrage qui va changer à jamais l’empire. Mais surtout il va apprendre à connaitre la communauté qui vit là à proximité de la brume et de ses dangers, il va vivre avec eux pendant les années qui seront nécessaires à la réalisation de cette prouesse. C’est ainsi qu’il rencontrera les personnages de Rasali et Valo Bac dont la famille traverse la rivière depuis des générations, risquant leurs vies pour transporter personnes et marchandises. Le lecteur va traverser l’histoire de cette fourmilière humaine du point de vue de Kit, il verra naitre les relations de respect, d’amitié et d’amour entre l’ingénieur et ceux dont il va changer la vie à jamais.
Oui, effectivement, on a là un bouquin qui nous raconte un chantier de BTP, ça peut sembler bizarre mais ne partez pas, c’est pas un manuel de résistance des matériaux non plus. Le monde qu’on nous décrit est mystérieux et à peine ébauché, les malades du world-building se verront frustrés à coup sûr. La novella n’a pas de grand moment épique ou de combat contre des créatures assoiffées de sang. C’est une histoire qu’on lit tranquillement, se laissant bercer par le rythme lent du courant de brume et les rêves du bâtisseur. Les mois passent, les ouvriers et les spécialistes viennent et s’en vont, vivent leur vie. Avant tout, Un pont sur la brume est une histoire axée sur ses personnages créés à la perfection, des gens sensibles dont on comprend la psychologie, auxquels on s’attache énormément.
Mais ce livre est aussi une histoire sur le progrès, le changement, les gens qu’il laisse derrière et ceux qu’il transforme. Le pont bouleversera la petite ville en drainant tous les travailleurs, transformant sa dynamique, en faisant un passage incontournable pour le commerce et le voyage. Comme tout progrès de civilisation, il va changer une nature hostile et crainte en une simple formalité à enjamber. Les passeurs n’auront plus à risquer leur vie en traversant les flots de brume, mais quelque part, ils se voient amputés de leur principal métier et quasiment de leur raison de vivre. Le progrès force les habitants à se réinventer, à avancer. Kij Johnson ne le qualifie jamais de bon ou mauvais, elle constate qu’il se produit, que nous devons vivre avec, et que nos choix feront de nous ce que nous serons à l’avenir.
A travers ce récit intimiste au rythme posé, Kij Johnson nous propose une histoire sur la civilisation et le progrès, et sur la place de l’humain au centre de tout ça. Émouvant, construit de petites choses insignifiantes qui font une vie au milieu des grands accomplissements de l’Homme, Un pont sur la brume est une lecture envoutante et subtile.
Lire aussi l’avis de : Apophis (Le culte d’Apophis), Nicolas Winter (Just a word), Blackwolf (Blog O Livre), Boudicca (Le bibliocosme), Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres), Xapur (Bibliosff), Samuel Ziterman (Lecture 42),
Ta chronique m’a totalement convaincue…ainsi que le prix du format numérique, comment résister. Il m’accompagnera en vacances, j’ai pile poil un trajet d’une heure pour me rendre près d’un lac 😉
Très bon choix, tu pourras construire un pont sur le lac en arrivant 😀
« On a là un bouquin qui nous raconte un chantier de BTP » : je viens de le finir et c’est exactement ça ! 😀 Merci pour ta critique qui m’avait encouragé à sauter le pas.
Très bonne critique sur un très bon livre 🙂
Merci 🙂