Le temps des sorcières d’Alix E. Harrow est sur mon radar depuis un moment mais j’ai attendu la sortie poche pour me lancer, et ça a donc été ma première lecture de 2025. Et bien voilà au moins une bonne chose en ce début d’année chaotique, parce que les sœurs Eastwood m’ont bien ensorcelé.
Agnès, Bella et Genièvre Eastwood sont trois sœurs séparées depuis plusieurs années après des évènements traumatisants, et une enfance avec un père abusif et de vieilles rancœurs. Mais des années plus tard elles se recroisent à New Salem lors d’un évènement magique mystérieux et vont se réunir pour retrouver les voies magiques perdues face à une société qui veut écraser et faire taire le pouvoir et le savoir transmis par les femmes depuis des générations dans toutes les cultures, les vers, les voies et la volonté de celles qui veulent changer le monde.
L’autrice propose ici un monde qui ressemble beaucoup à notre XIXe siècle mais dévie légèrement dans son histoire et la présence de sorcellerie (évidemment), quoique ça existe peut-être, qui suis-je pour le dire ? Je ne suis qu’un homme après tout. Bref, on est dans une société américaine bien patriarcale vénère où les suffragettes se battent pour que les femmes aient le droit de vote mais ce sont encore les hommes qui ont tous les pouvoirs, et les femmes ont seulement le devoir de pas trop faire de vagues, hein. On apprend que des évènements ont déjà bien diabolisé les femmes et les sorcières après la peste d’Old Salem et on montre du doigt celles qui utilisent les vieilles voies magiques qui sont désormais transmises en secret de mère en fille mais se perdent toujours plus, ne laissant que quelques petits sorts inoffensifs à celles qui perpétuent tant bien que mal le savoir.
Mais après leurs retrouvailles, une vie à courber l’échine et certains évènements mystérieux, les trois sœurs Eastwood vont voir leurs destins de nouveau réunis et tenteront de retrouver les traditions magiques des sorcières pour rééquilibrer la balance. On se rendra compte que ces traditions restent cachées en plein jour et le roman nous parlera beaucoup de transmission de savoir et de retrouver l’histoire perdue que les hommes ont un peu effacé pour ne pas bousculer leur fragilité pouvoir. On passe par les contes, les vers perdus d’une tradition familiale, les histoires que telle mère a raconté à sa filles, mais tout est dilué, éparpillé, caché, et l’enjeu sera de les ramener dans une culture commune. Bien évidemment ça résonne beaucoup avec notre histoire où les femmes importantes sont régulièrement invisibilisées et les hommes prompts à les écraser. Et je dois vous avouer que lire ce roman en ce début 2025 où les mascus milliardaires pathétiques de la tech se sont accaparé le pouvoir de la première puissance mondiale, ça en amplifie le propos et l’ancre définitivement comme une histoire de notre temps (aussi).
Il n’y a pas besoin de creuser bien loin pour voir l’aspect féministe évident de l’œuvre qui expose avec brio son propos tout en proposant une histoire prenante, touchante et révoltante. L’utilisation de cette magie des petits gestes et des mots qui se chuchotent, qui sert désormais aux petites tâches de tous les jours de la vie des femmes comme coudre ou jardiner mais qui ne demande qu’à revenir en force et à exploser de colère, ça symbolise l’écrasement des femmes et leur pouvoir muselé par une société de pleutres, et consolide un discours de sororité puissant. Alix E. Harrow donne vie aux sœurs Eastwood et leur permet d’incarner des archétypes de femmes tout en montrant que les femmes ne sont pas que ces archétypes, et la force de l’œuvre passe aussi par la qualité de ces personnages et de leur aventure prenante, émouvante et révoltante, par le parcours de ces sœurs qui se sont aimées, puis haïes, puis retrouvées.
Mais pas seulement, puisque les luttes convergent on va évoquer les femmes racisées avec Cléo et sa communauté de femmes qui joindront la lutte, et on glissera dans le lot une romance lesbienne née dans la badassitude et on a une recette complète et réjouissante pour lutter contre le monde. Le temps des sorcières incarne aussi son propos par des personnages antagonistes forts à l’histoire secrète et complexe qui sera révélée petit à petit, et on adore détester ce flasque politicien qui cache quelques secrets, ou encore ce mouvement de tradwives à l’ancienne qui défendent les bonnes mœurs contre ces sauvages de sorcières. Mais quand on dévoile les secrets, qu’on mène les luttes et qu’on fait exploser le cadre de la bonne société, Le temps des sorcières nous livre une explosion de révolte, de colère et de grands moments d’émotion où les combats et les sacrifices prennent les lecteurices et les emportent.
Commencer l’année avec un « incontournable » donne un bon élan et il faudra donc que j’explore les autres écrits d’Alix E. Harrow. Le temps des sorcières a été une lecture puissante, prenante, une histoire de notre passé mais très malheureusement de notre temps aussi, une histoire enthousiasmante par sa force narrative et cette lutte des femmes dans l’ombre et la lumière.
Couverture : Pauline Ortileb
Traduction : Thibaud Eliroff
Éditeur : Le livre de poche
Nombre de pages : 736
Prix : 10,40€
Lire aussi l’avis de : Sia (encres et calames), Vert (Nevertwhere), René-Marc Dolhen (noosfere),
Oh, et bien je note. J’avais bien aimé Les dix mille portes de January. Justement pour la puissance narrative de Harrow.
Du coup je fais le chemin inverse et j’ai Les dix mille portes dans ma pal 🙂
Ce n’est pas gentil de commencer avec des tentations ! mdr Et dire que l’on manque de temps pour lire tout ce que l’on voudrait lire… Mais je suis contente de lire ta bonne critique, parce qu’il me faisait de l’oeil aussi ! 😉
Oh mais je ne suis pas un gentil ours, tu sais 😀
Merci. Acheté immédiatement : presque un acte militant…
\o/
Bonne lecture, camarade !