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Le prieuré de l’oranger, Dames de pouvoir

Il y a quelques mois j’ai acheté The priory of the orange tree de Samantha Shannon, un énorme pavé en VO, en grande partie à cause de la couverture sublime d’Ivan Belikov (même si j’ai un peu regardé les avis, faut pas déconner). Je l’ai posé dans ma bibliothèque et l’ai laissé trainer là jusqu’à ce que j’apprenne qu’il sortait en français chez De Saxus fin Octobre. Voilà l’occasion de plonger dans cette aventure, alors j’ai plongé.

Le prieuré de l’oranger (en VF) est une grande fresque de fantasy contenue dans un (gros) one-shot. Ça nous change des séries à rallonge. L’histoire nous fait faire des allers-retours entre l’est et l’ouest du monde créé par Samantha Shannon. À l’est, Seiiki, continent martial qui vénère les dragons, à l’ouest, le Virtudom (je sais pas comment ils ont traduit ça en français), où les dragons sont craints et chassés. On suivra principalement les aventures de deux femmes : Tané est apprentie dans la prestigieuse garde de Seiiki, et s’apprête à passer son épreuve finale avec l’espoir de devenir une des rares élues à chevaucher un dragon. Mais elle va transgresser un interdit, ce qui pourrait tout faire capoter. De l’autre côté de l’abysse, Ead est une dame de compagnie auprès de la reine Sabran, mais on se rend vite compte qu’elle a une mission secrète et que ses capacités dépassent largement celles de son rang.

On apprend petit a petit que ce monde a été traumatisé par l’arrivée d’un dragon et de ses potes il y a des siècles, et tous les mythes et religions sont plus ou moins basés sur cette période. À l’ouest, on vénère les saints qui on vaincu le gros bourrin, et tout le système de valeurs du Virtudom en découle. Et il est dit que tant que la lignée de la reine Sabran perdurera, le Sans Nom restera banni de ce monde. La reine n’ayant pas encore d’enfant ni de compagnon, on lui met un peu la pression quand même. Mais petit à petit les dragons s’éveillent, la menace semble refaire surface et un certain prieuré pourrait apporter la solution à ce fléau.

Il est impressionnant de constater avec quel talent l’autrice parvient à nous plonger dans son univers qui, certes, utilise quelques archétypes bien classiques (le retour du grand méchant banni, les élu(e)s, etc…) mais distille informations et révélations avec habileté au fil des pages du mastodonte. Oui, un des enjeux de cette aventure est d’explorer à la fois le présent pour nous faire comprendre l’équilibre de ce monde, mais aussi le passé parce que pour sauver ce monde, il va falloir creuser dans ses mythes pour en démêler le vrai du faux.  Et tout le monde n’a pas les mêmes valeurs. C’est dense, il y a beaucoup d’informations à digérer, et beaucoup de trames scénaristiques à suivre (Non, ce n’est pas que du déballage de background), c’est remarquablement bien amené pour que le lecteur lise ça avec le grand plaisir de la découverte.

Dans les faits, une grosse partie du bouquin se passera aux côtés d’Ead, à la cour de la reine Sabran. La jeune femme va devoir éclaircir quelques complots, protéger la reine tout en voyant le monde partir en vrille depuis son château. Cette ambiance de fantasy de cour qui cache une fantasy épique en seconde main m’a beaucoup fait penser à l’excellent Véridienne de Chloé Chevalier. Tané à un rôle qui met un peu plus de temps à trouver sa voie, une fois son épreuve passée on a l’impression de mettre en pause la guerrière pendant quelques centaines de pages. Pourtant ça ne m’a pas forcément gêné vu que tout se met en place de manière subtile pour nous amener vers une grande scène finale, un dénouement satisfaisant même si la grande baston épique promise peut manquer de souffle et décevoir, mais finalement la force du roman n’est pas spécialement dans l’action.

La force du roman, c’est son échelle gigantesque pour un one-shot. C’est aussi cette manière d’amener les révélations avec un timing diabolique, cette remise en question des dogmes et de l’ordre établi en allant au-delà de ce que nous disent les textes sacrés pour découvrir la vraie histoire et pas les mythes qu’on a déformés. Coucou le christianisme. L’autre force du roman est cette superbe galerie de personnages fouillés et attachants, que ce soit Ead la puissante et humble, Tané la guerrière en devenir, mais aussi Loth le noble en exil. Et surtout, surtout, la reine Sabran, tiraillée entre ses drames personnels, son devoir et son cœur. L’ensemble du casting est un plaisir à voir évoluer, leurs caractères et leurs interactions sont crédibles et touchantes. On comprend chaque perspective et la manière dont elles s’opposent, ou se recoupent. Chacun a ses propres enjeux, son histoire à lui qui s’intègre dans le grand ensemble.

Et bien sûr, Le prieuré de l’oranger est un roman féministe par essence, il est un portrait croisé de femmes qui remettent en question l’ordre qu’elles subissent et qui dirige leur vie malgré elles. Même la mythologie de l’univers a le féminisme comme moteur au travers de découvertes que je ne spoilerai point. Mais tout ici va parler des femmes, de leur pouvoir, de leur rôle, de la pression systémique d’une société qui a glissé leur importance sous le tapis. C’est fait avec adresse et subtilité, et c’est drôlement bien joué.

Le prieuré de l’oranger est un excellent roman de fantasy massif, dense, qui explore un monde, ses mythes et ses codes. Il les remet en question dans une quête de vérité par le regard de plusieurs personnages forts qui nous sont présentés. Tout y est, les protagonistes, l’univers, le rythme, la découverte, et le fond. Et je salue l’éditeur français De Saxus qui sort son one-shot de 1000 pages sans chouiner pour le découper en 12, et ose même balancer un collector en relié couverture rigide. Chapeau.

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Cet article a 40 commentaires

    1. L'ours inculte

      De rien ! Entre deux tomes d’Erikson, tu le sentiras même pas passer 😀

  1. OmbreBones

    Et bien je suis convaincue ! Il faut que je lise cet énorme pavé, très belle chronique :3

  2. Boudicca

    Je ne connais pas cette maison d’édition mais l’ouvrage me tente ! (tu m’as eu quand tu as parlé de Veridienne) ^^

    1. L'ours inculte

      Je connaissais pas non plus l’éditeur, mais ils ont joué un joli coup, j’espère que ça paiera pour eux

      1. Boudicca

        Tu sais si on peut le trouver en librairie ou s’il faut passer par l’éditeur ?

        1. L'ours inculte

          Je pense qu’il est trouvable en librairie oui, ils viennent de faire une tournée dédicace de deux semaines en France et Belgique, apparemment ils ont sorti la grosse artillerie

          1. Boudicca

            Ok super, merci 🙂

          2. OmbreBones

            Je me permets de répondre car je l’ai croisé en librairie en Belgique donc je te confirme qu’il est bien distribué (s’il est ici il est partout xD)

          3. Boudicca

            Merci beaucoup 🙂

    1. L'ours inculte

      Si tout le monde lui demande ce livre, il va nous faire un lumbago avec sa hotte de 10 tonnes

  3. Tigger Lilly

    Très alléchant. Je l’avais croisé en librairie en anglais, j’avais été attirée par la couverture. Du coup j’ai appris qu’il sortait en français. Sans doute pas pour tout de suite, mais il file en wish list.

  4. Baroona

    Si c’est comparable aux « Récits du Demi-Loup », c’est un gage de qualité, je note. Par contre, je mettrais de gros guillemets à « one-shot », parce que ça reste identique en quantité à une trilogie de livres de 300 pages. ^^

  5. Zina

    Je me demandais justement ce que ça valait, et tu m’as convaincu ! J’avais déjà lu le 1er tome d’une autre série d’elle dont la suite n’a jamais été publié chez nous et j’avais trouvé qu’elle avait des idées originales.

  6. Vert

    Rah la comparaison avec Véridienne, tu sais comment me convaincre. Heureusement que je ne cours pas après les pavés en ce moment ! Je garde le titre en tête pour quand je changerais d’avis ceci dit ^^

  7. Shaya

    Très intrigant, il passe en wish-list chez moi celui-ci !

  8. Maïté B.

    J’ai vu ce livre en magasin, et je ne pense qu’à l’acheter depuis.
    Après la lecture de cet article, c’est encore plus le cas ! 😀

  9. Lina Derot

    Bonjour, très bonne critique 🙂 je suis en train de lire ce livre et l’histoire m’intéresse beaucoup mais je ne comprends rien au jeu des alliances. j’ai cherché partout sur Internet mais rien à faire. Est-ce que tu pourrais m’expliquer?

    1. L'ours inculte

      Il n’y a pas vraiment de jeu d’alliances, un continent (Seiiki) vénère les dragons et un autre (le virtudom) les déteste, et les deux continents se parlent à peine

  10. Lyld

    Oh, tout ça dit comme ça me donne très envie. Suis-je autorisée à maudire la moi du passé qui a vu le livre en magasin, a fortement hésité puis l’a remis sur l’étagère ? En plus c’est un one-shot, certes une briquasse mais un one-shot tout de même

  11. bouchondesbois

    Ta chronique m’avait convaincue… Et je viens de le finir. Une merveille, ce bouquin ! Merci merci merci !

    1. L'ours inculte

      Content de t’avoir convaincue (et que le bouquin ait touché son but, sinon j’m’en serais voulu de t’avoir fait lire un pavé pareil 😀 )

  12. RisibleLisible

    Hey salut ! Bravo pour ta critique, elle est super complète et très bien approfondie.

    *Spoilers alert pour ceux qui n’ont pas lu*

    Je trouve également super intéressant l’exploration de l’homosexualité de Sabran et Ead ainsi que son approche décomplexée (qui est quand même très rare) ainsi que cette mise en avant totalement libre du désir féminin. *** CENSORED BECOAUSE CA SPOILE GRAVE MEME AVEC UN WARNING *** Voilà, je voulais juste savoir comment tu l’avais interprétait. Encore bravo.

    1. Ah ouais, ça spoile pas mal quand même. Je vais éditer ton com pour éviter les incidents facheux.

      Pour te répondre quand même : J’aime ne pas interpréter; donc je répondrais « j’en sais rien », l’autrice a manifestement laissé planer le doute et j’aime assez le flou, donc j’évite de conjecturer plus que ça.

  13. Vultradededemain

    Bonjour, je viens d’achever la lecture des 1000 pages et je n’ai pas du tout le même avis concernant ce livre. Il m’a fait lever les yeux au ciel plus d’une fois par les raccourcis opérés dans la narration et sa volonté de traiter du féminisme sans entrer pleinement dans le vif du sujet.
    A l’ouest Sabran règne sur un Reinaume, super idée, mais il suffit de continuer sa lecture pour voir dans la traduction (peut-être est-ce un problème de traduction) le terme de « royaume » utiliser pour qualifier cette reinauté où seules des femmes peuvent régner, à l’exception bien sur du fondateur. Il faudrait pas qu’une femme le crée. Mais bon cela je peux presque passer dessus mais si cela manque de cohérence.
    Nous avons donc un monde qui se veut inclusif, toutes formes d’ethnies est décrites comme intérêts amoureux, où les femmes peuvent avoir accès aux même professions que les hommes même les plus élever. Alors il est dommage que les autres stéréotypes attachés au genre féminin restent soudés à ces femmes.
    La reine Sabran est entourée de femmes de cour qui savent à peine se défendre et qui ne rêvent que de se marier. Les chefs, et non cheffes, de guerre ou de protection rapprocher restent des hommes comme il faut.
    Je parle même pas des raisons des méchant·es qui les poussent à être méchant·es… En terme de présentation des stéréotypes de genre ça fait mal. C’est très vieux jeux alors que cet univers se veut un minimum en avance dans un monde bercer par un arrière plan mi-médiéviste mi-renaissance. Cette opposition perturbe. De plus, les méchant·es déballent tout dès qu’on leur pose des questions. On a connu plus coriace.
    Les personnages sont d’une naïveté incroyable. Il suffit qu’une personne est un sourire sympathique pour que les héroïnes et héros, qui doivent garder des secrets hein y a un gros dragons a tuer à la fin !, pour tout déballer même des mystères vieux de mille ans.
    Je pense que le pire c’est le manque de difficulté évidente que rencontre les personnages qui m’a le plus énervé. Un problème qui n’a pas été résolu depuis mille ans ? Oh bah je me rappelle d’une histoire qui disait ça, peut-être que c’est lié et paf iels tombes dessus. C’est caricatural mais la vérité n’est pas loin.
    Bref, y a encore du boulot pour créer un vrai bouquin inclusif qui ne ressemble pas à un cahier des charges….