« L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le Pistolero le suivait ». C’est la première phrase quasi-mythique de La tour sombre, dont le premier tome est Le pistolero. J’ai lu ce bouquin déjà plusieurs fois mais, comme beaucoup d’anciennes lectures, je n’en ai jamais parlé ici. Il aura fallu une version audio, conseillée par je-sais-plus-qui sur le prodigieux Dernier discord avant la fin du monde, pour que je replonge. Encore.
Roland est le dernier des pistoleros, il poursuit l’homme en noir dans les terres désertiques. Voilà, j’ai résumé le bouquin. Non je déconne. Il croisera des lents-mutants, un adolescent New-Yorkais, une draisine, une ville de gros timbrés, et du désert. Oui, pitcher le bouquin est un peu compliqué parce qu’il est un amas de petits épisodes un peu fourre-tout qui, mis bout à bout, reconstituent un aperçu encore bien mystérieux de ce que deviendra l’univers de la Tour Sombre. Roland traverse un décor de western apocalyptique bien plombant et ses premières péripéties sont une série de rencontres d’habitants désabusés, et de petites surprises laissées par l’homme en noir. De temps en temps on reviendra dans le passé pour esquisser sa jeunesse et sa formation de pistolero (l’épreuve de Cort est toujours un régal à lire/écouter).
Chroniquer ce roman quand on a déjà lu la tour sombre est un peu piégeux, parce que je sais où tout ça va mener. Mais pris de manière isolé, Le pistolero est assez morcelé et très hétérogène. En fait, il fait penser au premier tome du Sorceleur dans le sens où c’est une collection de nouvelles qui esquissent à peine un univers, et un potentiel. Il faut vous attendre à n’avoir que très peu de réponses à vos questions au terme de ce petit roman, vous ne saurez pas vraiment qui est cet antagoniste, ni quel est ce monde qui fait quelques liens avec le notre mais en même temps n’y ressemble pas tant. Parce qu’au-delà de ces péripéties ponctuelles, le fil du roman est une simple quête, rattraper le couillon en noir. Et on sait pas vraiment pourquoi.
C’est l’histoire d’une quête, donc, de ce qu’on met de soi dans cette quête, de pourquoi on la suit, et des sacrifices qu’on est prêt à faire. Et la notion de sacrifice va être la clé de voute de ce cheminement, ceux qui savent… ils savent… Il résonne parfois avec La horde du contrevent dans cette thématique précise, la quête absolue, à tout prix, qui dépasse les protagonistes, jusqu’à l’absurde. Le pistolero est souvent considéré comme le plus faible de la saga, parce qu’il est un peu bordélique, on sent l’œuvre de jeunesse où l’auteur sait pas encore bien où il va. En tant que premier tome de la Tour sombre, il n’est pas représentatif du tout de ce que sera la série, que ce soit dans l’ambiance ou dans le traitement des personnages, on a l’impression de lire le carnet de brouillon de l’auteur (ce qu’il est, au final).
Mais il y a l’ambiance, cette putain d’ambiance, ce monde pourri qui suinte et qui se mange les poux sur le crâne en pétant ses fayots de la veille. Il y a ce trio, Roland-Jake-L’homme en noir, sainte trinité dont il ne faudrait pas trop parler sous peine de divulgâcher comme un salaud. Il y a ce mélange des genres western-horreur-fantasy-post-apo toujours assez inédit aujourd’hui. Mais Le pistolero accuse parfois son grand âge de quadragénaire littéraire, dans ses archétypes, dans le discours mystique à deux balles qui plombe la fin, dans ses personnages féminins un peu mouais-bof (ceux qui ont lu la suite de la saga sauront pardonner cet errement de jeunesse). Pourtant, en tant que trip apocalyptique, travail d’ambiance et de décor, il vaut encore largement le coup. Et rien que parce qu’il est la porte d’entrée d’une des meilleures sagas de SFFF qui existe et qui gagne beaucoup à être relue, oui, lisez Le Pistolero.
Je dois aussi vous parler de la narration audio de Jacques Frantz. La voix de bonhomme bien grave c’est à la mode, et là ça va bien à l’ambiance de « lonesome cow-boy de fin du monde ». Mais Frantz a aussi une particularité ici, il joue beaucoup sur des sonorités trainantes dans les dialogues, il donne cette impression de personnages au bout du rouleau, qui laissent trainer les phrases dans une plainte continue. Au début ça fait un peu bizarre mais ça colle assez bien au délire. Je trouve toujours bizarre d’entendre dire « Rolante Deskaïn » à l’anglaise, je sais pas pourquoi ils ont fait ce choix. Je suis curieux de voir comment il s’en sort dans la suite qui est bien plus variée.
Quel trip de replonger dans La tour sombre en audio, ce premier tome est toujours très à part, hybride, louche et envoutant. Il en rebutera certains, mais l’étape est nécessaire pour rentrer dans le cycle. Pourtant j’apprécie toujours autant cette traversée du désert chelou, quête absolue dans un monde mourant, qui ouvre les portes de l’entre-deux-mondes. Maintenant on est parti pour de bon, il ne reste plus qu’à tirer nos trois cartes.
Lire aussi l’avis de : Lorhkan, Vert (Nevertwhere), Lune (Un papillon dans la lune),
C’est exactement ça : un tome faible – en regard du reste -, bizarre, qui ne laisse pas vraiment présager de la suite, mais avec déjà une sacrée ambiance. Rien qu’à te lire je me revois le découvrir, quelle série.
Et cet incipit n’est pas quasi-mythique, il est complètement mythique !
Mais je trouve la relecture meilleure, parce que tu vois des foreshadowing un peu partout, des petits bouts de ce que ça va devenir.
Pour info King a révisé le bouquin (au début des années 2000 je crois) pour harmoniser l’ensemble, d’où un forehadowing encore plus flagrant par endroit ^^.
Sinon je l’aime beaucoup celui-là. Pas autant que Terres perdues (qui reste mon favori) mais il pose de bonnes bases et il garde une certaine singularité.
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