Dun Cadal, général légendaire de l’ancien empire, passe ses vieux jours à ressasser sa vieille vie à la taverne du coin, constamment imbibé d’alcool et vraiment pas beau à voir. Le jour où une historienne va venir écouter ses radotages chroniques pour retrouver l’ancienne épée de l’empereur, il va revenir sur sa rencontre avec le jeune Grenouille qui deviendra son protégé, et sur tous les événements qui ont suivi et ont mené à la chute de l’empire, et la naissance de la nouvelle république.
Par ce pitch archi-classique (oui, encore une fois, un truc à la « nom du vent », on a compris, monsieur Bragelonne), « la voie de la colère » nous fait entrer dans le vif du sujet dès les premières pages, ça part fort, ça part vite, on est dans l’efficacité, la castagne, des assassins avec des capuches et des épées qui trouent des gens… Mais au-delà de ça, on a vraiment une intrigue bien construite. La chute de l’empire est le résultat d’une série de complots et de manœuvres politiques dont on va suivre la progression à travers le regard du général.
Une des qualités principales du roman est sa construction, il mélange passé, présent et passé encore plus passé de manière constamment déstructurée mais bizarrement claire, pour ensuite nous retourner la gueule en changeant son point de vue et nous livrer une nouvelle perspective. L’auteur nous balade et joue avec notre perception des événements et des motivations de chacun, nous cachant des perspectives volontairement pour mieux nous surprendre. Il se passe des choses dans notre dos et rien n’est vraiment certain, et on se fait avoir dans les grandes largeurs.
A travers son récit, on comprend l’amertume de Dun Cadal et le ton est fataliste et grave, loin du souffle épique des grandes sagas. Ici on va parler de vengeance, de colère (oh, dis donc, c’est dans le titre…), de manipulation et de héros impuissant. J’ai vraiment apprécié les deux personnages principaux, Dun Cadal et Grenouille, dont la destinée faite de mensonges, de regrets et d’erreurs change des héros qui cherchent à faire le bien, chacun a ses motivations et son point de vue, et c’est vraiment le changement constant de ce point de vue qui va être le jouet préféré d’Antoine Rouaud pendant tout le roman.
Et ces personnages qui regardent leur vie passée et se rendent compte qu’ils se sont complètement planté, on n’en voit pas beaucoup non plus. La fatalité et la destinée font partie des thèmes abordés dans le bouquin et sont traités avec finesse et originalité. Derrière l’efficacité purement « action » de ce premier tome se cache de belles subtilités de construction et de développement de personnages pour ces deux héros. On se prend bien au jeu de la colère et de la frustration devant l’histoire qui se déroule devant eux.
Par contre, si Dun Cadal et Grenouille m’ont vraiment pris aux tripes, on peut regretter une galerie de seconds rôles un peu légers et pas vraiment approfondis. Viola et Esyld sont assez transparentes dans des rôles de jolies jeunes filles, Rogant est le costaud taciturne et roc de service, Aladzio nous sort un rôle de « Leonard de Vinci » à peine masqué, et encore, je passe les méchants… Tout ça manque un peu de relief et de personnalité même si la relation entre Dun et Mildred reste touchante. Ils ne servent finalement que de leviers à activer pour faire avancer cette belle histoire mais j’espère voir des personnages plus fouillés pour la suite (car suite il y aura, oui mesdames et messieurs).
Une belle découverte que cette « Voie de la colère » qui m’a bien emporté malgré quelques défauts de jeunesse pour cet auteur dont c’est le premier roman. Tout ça est bien prometteur et apparemment ça marche bien, on nous vante déjà 452 traductions pour une parution dans 40 pays, 22 continents et 56 systèmes solaires (comment ça, c’est pas possible ?) pour un roman français, donc ça a l’air de bien rouler pour eux, pourvu que ça dure.