Depuis l’an dernier je me penche sur les romans de Rozenn Illiano, intrigué par son univers, séduit par ses atmosphères et impressionné par sa démarche d’auto-édition qualitative (#ComitePourLesHardbacksVF). Après un Érèbe envoûtant et un D’hiver et d’ombres déroutant, j’avais quelques bouquins en stock pour continuer ma découverte, tout était planifié. Mais voilà que l’autrice propose un SP de son dernier roman La maison des épines. Allons-y donc. Bouleversons tous nos plans méticuleusement préparés. C’EST L’ANARCHIE !
1900, Sonho est mime au sein du cirque Beaumont, mais depuis quelques temps le cœur n’y est plus. Cette formidable famille se délite, l’esprit de la troupe se déchire après un drame, les animosités persistent, les finances manquent, le cirque doit fermer. Augusta, la sœur de Sonho, décide de rentrer à Blackthorn Hill pour ouvrir un orphelinat et poursuivre la mission qu’avait confié son grand-père au cirque Beaumont. Mais cette grande maison familiale dans la campagne londonienne cache bien des secrets, et cache quelque-chose qui ne doit jamais être libéré.
La maison des épines propose, à l’image d’Érèbe, un fantastique tragique, atmosphérique, qui rappelle les ambiances de classiques gothiques. On a ici deux schémas assez classiques de la fiction qui se télescopent : La troupe de cirque sans le sou, et bien évidemment cette bonne vieille Maison Hantée. Mais il y a plus que ça, vu qu’on est dans l’univers de Rozenn Illiano, on va parler de pouvoir liés aux rêves, vision de l’avenir, du passé, voyage dans les rêves des autres, etc… Oui, l’oniromancie est toujours là et elle est très présente dans le cirque Beaumont. Mais mettez tout ça dans une maison mystérieuse qui cache un secret familial, et vous allez avoir pas mal de surprises. L’histoire va d’ailleurs faire quelques ponts avec Érèbe, mais reste complètement indépendant, pas d’inquiétude. Pourtant elles sont mises en miroir, les deux œuvres partagent ce cadre anglais du début du XXe siècle, cette atmosphère de fantastique classique, ces thèmes de l’héritage, du poids des familles et de leurs responsabilités.
La maison des épines impressionne par sa construction, car on va suivre plusieurs personnages qui vont se croiser dans l’espace et dans le temps, on fera des allers-retours sur deux ou trois générations pour construire les fondations de cette histoire. C’est parfois un peu frustrant de laisser le cirque en mauvaise posture pour passer deux grands chapitres sur une temporalité complètement différente (qui peuvent être longuets dans la première moitié du livre), mais le jeu en vaut la chandelle. J’essaye de pas trop en dire pour pas gâcher de surprise, mais la seconde moitié va jouer avec tout ça et donner du sens à cette narration un peu éparpillée du début du bouquin à travers des révélations et des grosses claques dans la figure.
Mais ce sont évidemment les personnages qui marquent, il y a bien sûr Sonho le mime qui perd pied, qui s’éloigne de sa famille et de son but pour dériver. On a bien plus que ça, entre Isaac, Augusta, Ariane, Little Jack, Mary, Reine et tous les autres, il y a un vrai esprit de famille, avec les liens indéfectibles cachés sous les rancœurs, l’amertume, mais aussi la confiance et l’amour. Ils sont tous exceptionnels dans leur caractérisation et leurs relations, c’est ce qui, pour moi, place ce roman au-dessus des deux que j’ai lus précédemment. Comment oublier Reine qui impose une présence exceptionnelle malgré son mutisme, et que j’espère revoir dans d’autres textes de Rozenn Illiano ? Ou Ariane dont l’ombre plane sur tous les autres personnages ?
On remarque que l’ambiance « visuelle » est un des éléments clés de ce roman, et de l’écriture de l’autrice plus globalement. Elle travaille ses descriptions et ses ambiances, elle parvient à mettre en place des personnages et des scènes très fortes par leur construction et leur évocation visuelles. Elle pose des couleurs, des textures, des jeux de placement, tout ça participe à créer des moments et des protagonistes iconiques qui vont rester en mémoire. La robe d’Ariane, le cadeau de Sonho, l’accident, ce cirque à l’identité visuelle si particulière, et Blackthorn hill évidemment, cette grande maison entourée de prunelliers qui sera le centre de l’intrigue. Tout a un impact fort, qui marque les lecteurs et les lectrices, enfin moi, du moins, vous vous me direz si c’est pareil. Et pour allier le fond et la forme, on constate un jeu plus en profondeur sur les symboles, les motifs, les thèmes qu’on déroule telle une pelote de laine (hihihi) qui font de La maison des épines une œuvre qu’on prend plaisir à décortiquer.
Mais j’ai toujours un petit souci personnel et très subjectif avec son histoire de « Grand Projet » qui réunit toutes ces œuvres dans une mythologie cohérente, planifiée depuis des siècles sur une page Notion peinte dans une grotte. Je trouve qu’il est trop explicite, trop « là », j’aimerai que cette mythologie commune et ce grand plan narratif s’immisce plus discrètement entre les lignes. Bon, le fait que j’ai aussi une mémoire de merde fait que j’ai du mal à me rappeler les détails dans D’hiver et d’ombres qui font écho directement à cet « épilogue spécial pour les gens qui suivent le Grand Projet, Clin d’oeil, Clin d’oeil, toi-même tu sais » à la fin du bouquin. Oh je vois le lien, de loin, mais faut que je me creuse la cervelle pour me rappeler qui c’était déjà ça. Mais on est au point où ça en dit trop ou pas assez, où on laisse pas les lecteurs réaliser eux-mêmes que « tiens, ça me fait penser à un truc ça ». Bon c’est tout à fait annexe comme remarque, ça n’enlève rien à tout ce que j’ai dit avant.
Malgré ça, j’espère avoir quand même bien fait passer les grandes qualités de ce roman. La maison des épines de Rozenn Illiano est une histoire fantastique qui joue avec les archétypes du genre avec beaucoup de talent et d’émotions, qui les tord de manière astucieuse, qui surprend par sa construction, qui marque par son imagerie et émeut par ses personnages.
Livre reçu en Service Presse de la part de l’autrice Rozenn Illiano, merci à elle.
Lire aussi l’avis de : Laird Fumble (Syndrome Quickson), Snow (Bulle de livre),
Couverture : Rozenn Illiano et Xavier Collette
Éditeur : Auto-édité
Nombre de pages : 436
Date de sortie : 27 Janvier 2023
Prix : 24€ (broché) / 42€ (relié) / 3,99 (numérique)
très belle chronique malgré le passage final, cela devient tentant.
Belle chronique, un jour il faudra vraiment que je découvre cette autrice!
Merci ! (Oui, je réponds à mes commentaires 2 mois après 😀 )
Comme toi, j’ai adoré ce bouquin et je trouve que tu soulignes parfaitement ses qualités. Merci pour la précision pour l’épilogue : je n’ai pas encore lu D’hiver et d’ombres bien qu’il m’attende dans ma PAL, donc je suis contente de savoir que j’y trouverai des explications. En tout cas, je suis aussi affligée d’une mémoire catastrophique, donc je suis sûre que j’oublie toujours des détails qui devraient me permettre de faire des liens (parfois, je tombe sur un personnage ou l’évocation d’un lieu, et je reste bloquée à me demander si je l’ai déjà croisé, si je suis censée le connaître).
Quelle est ta prochaine lecture de Rozenn Illiano prévue (si ton plan n’est pas une nouvelle fois foutu en l’air ^^) ?
Merci à toi d’être passée, collègue ursidée !
Ma prochaine lecture devrait être L’ombre dans la pluie, à priori, j’en ai bien trop en retard donc j’essaye de faire dans l’ordre
Il faut sortir de sa tanière de temps en temps !
Je n’ai pas encore lu celui-ci non plus. Il faut reconnaître qu’elle est prolifique et que c’est parfois difficile à suivre !
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