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La maison dans laquelle, L’école des freaks

 C’est une vieille maison grisâtre qui survit au milieu des rangées d’immeubles et des terrains vagues, c’est un institut pour les jeunes handicapés, malades ou détraqués, c’est leur foyer, leur école, leur refuge, leur univers entier. Pour ses habitants, elle est seulement « La maison ».

La maison dans laquelle est le premier roman de Mariam Petrosyan, livre qu’elle a mis des années à écrire sans aucune intention de publication, nous conte la couverture. Un éditeur est tombé dessus et paf, gloire en Russie, buzz, traduction et ça arrive chez nous chez Monsieur Toussaint Louverture dans une édition superbe, un gros pavé de 950 pages pour faire de la muscu tout en lisant, avec une couverture qui fait soulever un sourcil dubitatif et curieux. Difficile de vraiment cerner la chose en tournant autour, en lisant le résumé ou la description du roman. Ça évoque Stephen King qui aurait bouffé Edgar Allan Poe et Lewis Caroll, on s’imagine un mélange entre les Goonies et Vol au-dessus d’un nid de coucou réalisé par Caro et Jeunet. Une chose est sûre, on sait que ça va être chelou.

Au final, c’est un voyage étrange, entre roman initiatique pour déglingués et fable onirique glauque. Entre les murs de cette Maison, le lecteur fera la connaissance d’un troupeau d’enfants et d’adolescents qui se sont construit leur monde selon leurs propres codes. Ils s’appellent Sphinx, l’Aveugle, Bossu, Noiraud, Chacal, Lord… Leurs vrais noms sont effacés, ils s’organisent en bandes, gèrent leurs dortoirs comme ils le veulent, picolent et fument dans leur lit et dorment un peu quand ça leur chante. La présence des adultes est discrète mais on sent que la maison est leur monde à eux. L’extérieur existe à peine, au point que l’âge fatidique des 18 ans est perçu comme une disparition, lorsqu’un camarade quitte les lieux.

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Nous suivrons dans un premier temps Fumeur, nouvel arrivant chassé du groupe des Faisans pour avoir porté des chaussures trop voyantes. L’enfant trainera son fauteuil roulant jusqu’au nouveau groupe qu’il va intégrer, faisant plus ample connaissance avec Lord et Tabaqui, deux autres « roulants » ainsi que tous ses nouveaux camarades. C’est cette bande-là qui sera le point d’ancrage du récit. On pourra trouver leur manière de vivre bien inconvenante pour des enfants, voire clairement dégueulasse… Leurs chambres sont en bordel, ils dorment les uns sur les autres, foutent de la cendre et de la bouffe dans leurs draps, se saoulent régulièrement, et se battent encore plus souvent.

Mais leur mode de vie contribue à rendre l’atmosphère de la Maison unique, glauque, hors du temps et des conventions de notre société. On découvre tout ça comme on découvre une nouvelle civilisation ou une race extra-terrestre. On essaye de comprendre leurs valeurs, leurs croyances, leur langage et leurs codes. On retrouve aussi notre capacité enfantine à se créer un monde et à s’en inventer les règles, sauf que eux n’ont aucune limite, ils sont laissés sur le bas-côté de la société à cause de leur handicap ou leur particularité, alors ils se créent la leur avec le jusque-boutisme propre à cet âge insensé. De plus, c’est pas toujours eux qui l’inventent ce monde, ils en héritent aussi, toutes les promotions précédentes ont contribué à créer l’environnement de la Maison et à se transmettre leurs traditions.

MaisonDansLaquelleOn retrouve un certain mysticisme qui tape régulièrement dans le fantastique, il y a des croyances inexpliquées, des superstitions sur certaines parties de la demeure, des enfants chamanes qui fabriquent des amulettes protectrices, des légendes, des énigmes. Encore une fois, c’est toute une civilisation qu’on découvre, dans un microcosme fantasmagorique où les ragots se mélangent aux peurs et aux témoignages. Et la grande qualité de la narration est de nous plonger dedans la tête la première, de nous immerger comme si nous étions nous aussi un de ces garnements. On s’attache à eux, on leur parle, on les comprends, on les écoute. On découvre ce qui se cache derrière le flegme de l’Aveugle, derrière la folie douce de Chacal ou le silence du Macédonien. C’est un peu notre famille à la fin, une famille de gros tarés incontrôlables, imprévisibles, solidaires, touchants, violents, cruels… mais on les aime bien quand même.

Le livre changera souvent de point de vue pour nous faire voir plusieurs perspectives, on changera aussi d’époque à travers des flashbacks nous montrant les premières années des plus grands d’aujourd’hui. La maison dans laquelle n’a pas vraiment de fil conducteur narratif prononcé, c’est un livre d’exploration. Il nous fait voyager dans toutes ces chambres à différentes époques, pour découvrir l’histoire de tous ces enfants, reconstituant au fur et à mesure un puzzle gigantesque fait de personnalités hors du commun, de moments héroïques et de grandes tragédies. Ce côté déstructuré est un peu déroutant (on s’y perd un peu par moments) mais l’auteur sème des petits indices au fur et à mesure pour faire des ponts entre les époques, les groupes et les habitants.

Le lecteur ne sait jamais vraiment sur quel pied danser, il devra se perdre dans la Maison pour en fouiller les moindres recoins et pouvoir en découvrir tous les secrets, il devra y croire tout simplement. C’est un livre-monde contenu dans une vieille baraque délabrée, c’est un gros pavé de mille pages rempli de légendes éparpillées comme un jeu de piste géant. C’est un peu bordélique, certains passages sont pas franchement utiles, c’est certainement un peu long, on se perd parfois entre tous ces personnages, mais pour peu qu’on se laisse embarquer le voyage en vaut vraiment la peine.

La maison dans laquelle est parfois difficile à suivre avec son rythme bizarre et sa structure éclatée. Mais il prend bien aux tripes, on est scotché à cette galerie de personnages mabouls qui vivent dans un monde mystérieux, terrifiant et passionnant à la fois. Tout le monde n’y sera peut-être pas sensible mais j’ai plongé dedans la tête la première.

Lire aussi l’avis de : Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile),

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Cet article a 2 commentaires

  1. Louise

    J’ai commencé à lire La maison dans laquelle mais pour l’instant, je reste perplexe quant à l’histoire. Je poursuis sans être vraiment convaincue – dans l’espoir de comprendre toutes les informations un peu obscures du livre – mais j’étais en train de me dire que j’avais peut-être mal « casté » ce livre. J’ai été étonnée de tomber sur cette critique (quel bon timing!) mais puisque je suis toujours assez alignée avec tes avis, je vais te faire confiance sur ce coup-là et persévérer un peu.

    Du coup, j’en profite aussi pour te remercier parce que depuis que je suis ton blog, j’ai découvert des livres que j’ai vraiment beaucoup aimé et ma « To read list » s’est considérablement agrandie. J’avais un peu délaissé la lecture mais tes critiques toujours très honnêtes et bien écrites m’ont donné envie de dévorer à nouveau !

    1. L'ours inculte

      Content d’alimenter ta liste de lecture !

      C’est vrai que ce livre est particulier, chaque lecteur pourra y trouver un peu ce qu’il veut, ou rien du tout… Les avis sont très divers là-dessus