J’arrive un peu après la fête, comme souvent, mais N.K. Jemisin a tout balayé avec sa dernière trilogie en date. Les livres de la terre fracturée ont raflé déjà deux prestigieux prix Hugo pour ses deux premiers tomes, et on verra bien cet été si elle se fait le trio gagnant. Nous allons parler ici du premier de ces romans, La cinquième saison, parce qu’il faut bien commencer au début.
La terre fracturée en question est le monde qui nous est présenté : le Fixe, un continent unique qui subit régulièrement des cataclysmes (séismes, volcans, tsunamis, etc…) qui rendent la survie des femmes et des hommes très hasardeuse. Ces cataclysmes parfois très longs sont des « saisons », la population s’est organisée à la bourrin pour maximiser ses chance de survie, dans un style Mad Max où l’humanisme est devenu la dernière roue du carrosse. Au milieu de tout ça, on apprend l’existence d’orogènes, des personnes qui ont le pouvoir de communier avec les forces de la terre et de les contrôler dans une certaine mesure, mais ils doivent apprendre à maitriser leur pouvoir sinon ils risquent d’empirer les choses. Le roman suivra trois de ces orogènes en alternant leurs points de vue.
Essun découvre un jour que son mari à défoncé la tête de leur fils et s’est barré en enlevant leur fille. Bien sûr, elle va partir à la poursuite du salaud et traverser les terres désolées dans sa quête, rencontrant quelques personnages qui vont se joindre à elle. Damaya est une petite fille qui vient de découvrir ses pouvoirs d’orogène, et elle va être confiée au « Fulcrum » sous la responsabilité d’un gardien, c’est dans cette école qu’elle apprendra à maitriser ses pouvoirs dans une ambiance pas vraiment « Harry Potter ». Syénite, elle, a déjà fini sa formation et a grimpé quatre échelons (anneaux) sur les dix qui constituent la hiérarchie du Fulcrum. Elle va être confiée à Albâtre, le seul dix anneaux qui existe, pour accomplir une mission dans la ville d’Alya mais aussi pour fabriquer un bébé ensemble, parce que… Parce qu’ils doivent baiser, ce sont les ordres, merde…
L’autrice a eu la très bonne idée de faire ce qui ressemble à un univers post-apocalyptique fantasy, mais avec une légère nuance. On n’est pas « après » l’apocalypse, mais entre deux apocalypses, donc la population serre les fesses bien comme il faut. Il y a beaucoup d’éléments de background qui vont nous être révélés au fur et à mesure, ils vont nous éclairer sur plein de petites choses qui font la richesse de cet univers. Je pense que c’est surtout ce world-building original et profond qui fait le succès de La cinquième saison. Cette trilogie fait quasiment l’unanimité ! En parcourant la blogosphère francophone je n’ai pas trouvé une seule critique négative, seulement un lecteur sur Babélio qui n’a pas apprécié. Une fois n’est pas coutume ou presque, je vais me joindre à la résistance et vous l’avouer directement, j’ai détesté ce bouquin.
Il y a tout d’abord un paramètre très personnel à mettre en avant : J’en ai déjà parlé mais j’aime les lectures fun, qui me font sourire, m’émeuvent dans un sens positif, me foutent la patate, me font rire, m’attachent à leurs personnages. Ici, Jemisin fait tout le contraire. Elle nous décrit un monde dur, cruel, froid à l’excès. Elle y va vraiment à fond dans le glauque la madame, torture, meurtre et maltraitance d’enfants, sexe instrumentalisé, castes arbitraires, survie du plus utile, etc… C’est du post-apo cruel, inhumain, qui va à fond dans la violence et le choc du lecteur sans proposer de contre-partie humaniste, d’espoir suffisant. On est dans un monde froidement pragmatique qui écrase les personnages en même temps que la joie de vivre du lecteur. Je n’aime pas ça du tout. Amis dépressifs, fuyez loin, très très loin de cette trilogie.
Au-delà de cet aspect purement subjectif, ou à cause de lui, je n’ai jamais eu d’empathie pour aucun des personnages. Leurs cheminements, leurs raisonnements, rien ne marchaient vraiment, j’avais du mal à les suivre. Quoique si en fait, au début ça marche extrêmement bien, Essun qui découvre son enfant mort, Damaya qui part avec son gardien pour le Fulcrum, on connecte, on est curieux. Mais comme le roman est une descente constante dans le monde merveilleux de la dépression, j’avais envie de me tirer une balle dès que j’allais promener avec mes écouteurs (oui, j’ai écouté la version audio VO, lue par Robin Miles qui fait du très bon boulot). Il y a des scènes qui font vraiment « too much », où ça va clairement trop loin dans la cruauté pour moi. La découverte du gosse sur sa chaise dans le Node a failli me faire arrêter directement, mais les protagonistes sont plus ou moins résignés, « life is a bitch », tout ça.
Mais je ne mets pas tout sur le dos de l’ambiance glauque, il y a quelques trucs que j’ai trouvé réellement maladroits. On nous présente les orogènes enfants comme des bombes à retardement, un peu comme les X-Men qui découvrent leur mutation à l’adolescence et qui font tout péter. Et quelle est la méthode super-intelligente du Fulcrum pour gérer ces enfants ? Mais la torture et la maltraitance psychologique bien sûr ! Pour apprendre à un enfant à maitriser ses émotions, pétez-lui un poignet, c’est la réussite assurée ! Ensuite vous pouvez les foutre dans une école et entretenir une ambiance conflictuelle entre tous les élèves, pour qu’ils subissent quelques traumatismes, ça va améliorer leur paix intérieure, c’est sûr !
Dans l’ensemble, il y a une froideur qui rend le tout très inhumain, j’ai déconnecté des personnages certes, mais en plus il ne se passe pas grand chose. On se rend compte au fil de la lecture que les personnages ne sont que des canaux pour balancer 500 pages d’explications sur son univers au lecteur. C’est même assez confus puisque le roman a un appendice pour aider les gens paumés, et bien évidemment dans la version audio c’est un PDF livré à part qu’on doit consulter, super, merci, très pratique. On nous explique beaucoup, on nous décrypte, on nous montre, mais les personnages ne « vivent » pas énormément de péripéties. Ils voient, ils entendent, ils expliquent, ils témoignent du quotidien de ce monde mais du coup j’ai eu cette impression d’exposition permanente et je me suis emmerdé. C’est le syndrome du train-fantôme qui revient. Le roman essaye maladroitement d’atteindre mon cerveau avec son world-building fouillé, et essaye encore plus maladroitement d’atteindre mon cœur avec ses drames et sa cruauté révoltante, il a échoué dans les deux cas.
Pour ces quelques raisons (et d’autres mais on va pas y passer la semaine), certaines très subjectives, certaines moins, la lecture de La cinquième saison a été pénible pour moi. Je n’aime pas vraiment me rouler dans la cruauté, j’aime lire pour vivre de la joie, de l’excitation ou du frisson. Si je veux déprimer j’allume le JT, merci (sauf que je le fais jamais). Petite suggestion, ça dit à personne de faire un post-apo « positif », où les gens s’entraident, sont humains ? Non parce que la plupart des gens sont sympas dans la vraie vie hein, faut pas croire…
Lire les avis enthousiastes du reste du monde : Apophis (Le culte d’Apophis), Lutin82 (Albédo), Lune (Un papillon dans la lune), Samuel Ziterman (Lecture 42), Yogo (Les lectures du Maki), Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres), Blackwolf (Blog O Livre),
Coïncidences (ou pas) : je vais l’attaquer dans pas très longtemps puisque c’est le livre n+2 dans ma PàL. Et moi non plus je n’aime pas trop le glauque. On verra si nos avis se recroisent.
J’espère que tu apprécieras autant que les autres, quand même 🙂
Dans le registre post-apo positif (avec des univers parallèles en plus), tu as Extinction Game de Gary M. Gibson. Ce n’est pas le roman du siècle, mais c’est pas mal fait.
Merci pour la suggestion !
Juste un point : Ils ne veulent pas apprendre à un enfant à maîtriser ses pulsions, ils veulent vérifier si il en est capable quelque soit les circonstances, si il n’est pas trop instable quoi, c’est un test, et si il échoue c’est la chaise dans le node. Sans parler de l’effet « peur » qui force les gens a résister plus loin, à se donner totalement et à faire plus d’efforts.
L’auteur a dit que la condition des orogènes était un parallèle avec les esclaves afro-américains : la peur constante de la cruauté possible de leur maîtres, le fait d’être rejeté de partout juste pour ce qu’ils sont, le fait d’être forcé d’enfanter avec les bonnes « lignées » même sans consentement comme des animaux …
Je pense aussi que le fait de l’écouter en livre audio a du jouer un peu, parce que c’est un livre à l’écriture particulièrement fluide, je l’ai commencé un dimanche fin après midi et je l’avais terminé avant d’aller me coucher, donc 4h environ, alors que toi tu as du le subir pendant 16h !
J’imagine que pour quelqu’un qui n’aime pas le coté déprimant c’est hyper long xD
Je dois dire que le post apo n’est pas du tout mon style normalement, enfin j’en lis très peu et je n’aime pas ça. Mais celui ci a bien marché et je me suis bien prise au jeu !
Après oui ce n’est pas un livre d’action, surtout ce tome si parce qu’il commence à peine à nous expliquer le pourquoi de la saison, finalement ce n’est qu’un flashback géant et on attend la suite (enfin moi je l’attends xD).
Le parallèle avec les esclaves est un peu difficile a comprendre. Les esclavagistes geraient leurs esclaves comme ça parce qu’ils ne coutaient rien, on les considérait comme des animaux, et ils en avaient des wagons.
Ici, les orogenes sont pas si rependus, et vitaux pour la survie de tout le monde, c’est illogique. Leur but est quand même de leur apprendre a se maitriser, et ils auraient bien plus d’orogenes puissants s’ils étaient pas aussi débiles. La maitrise ça s’apprend, c’est pas inné.
En plus, en les traitant comme ça, ils vont juste gagne une guerre civile logiquement.
J’ai pas dit que c’était un parallèle total avec les esclaves, juste que leurs conditions de vie sont identiques.
Je ne pense pas que les habitants pensent vraiment au coté vital des Orogènes, ils ne se rendent même pas compte en fait du boulot que ceux ci font. Ils ne savent pas que c’est grâce à eux que tout est relativement stable. Pour eux ça reste des abominations dangereuse qui sont la cause du déséquilibre et des catastrophes (ce qui est à moitié vrai) qu’il faudrait détruire et qu’on ne veut surtout pas proche de sa famille. En fait ils ne veulent pas savoir, ils ferment les yeux en quelque sorte.
Et je pense qu’ils sont largement suffisamment répandu pour le boulot qu’ils font au final vu qu’ils peuvent se permettre d’en garder des centaines dans la capitale sans que ceux ci fassent quoi que ce soit, « en réserve », et faire des pouponnières.
Pourtant, les orogènes du fulcrum ont un certains statut quand ils sont en mission, ils ont clairement une valeur.
Après, peut-être que tout s’explique mais c’est juste que personnellement j’y ai jamais cru
Mais si ça existe le post-apo positif (je pense que Chroniques du pays des Mères en est un). Merci pour tes réserves, j’en prends bonne note quand je me lancerais dans la lecture ^^
Merci pour la suggestions, c’est noté 🙂
Merci pour cet avis à contre-courant.
J’imagine que tu ne liras pas la suite, mais personnellement je suis curieux de lire ce qu’elle va proposer avec tout cela.
J’avais noté aussi le too much en termes de cruauté (et pourtant je fais partie du grand club des dépressifs qui se complaisent dans leur vision du monde noir et cruel), mais aussi la succession de révélations, dont la seconde qui gâche un peu la première (ce n’est pas très clair mais je ne veux pas spoiler).
Je l’ai, mais je ne m’y suis toujours pas plongé. Pourtant, moi les mondes glauques et où tout finit en drame, ça fonctionne plutôt bien sur moi. ^^ Tu vas peut-être réussir à me le faire lire plus vite que prévu.
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Ben en fait, quand j’ai lu les premières lignes de ta chronique pour la description du roman, la première réflexion que je me suis faite, c’est « Houlà! Ce bouquin a l’air ch… ». Je vais relire les chroniques d’Apo et du Lutin pour me faire une nouvelle idée.
Non mais faut pas faire attention, je dis que des bêtises 🙂
Lol!
Je fais partie du reste du monde, mais avec de tels arguments, je comprends tout à fait que tu n’aies pas aimé. « Noir c’est noir… » et la fin est d’ailleurs tout à fait logique, tout nous y mène.
Là où je rejoins Lianne (mais je n’ai jamais écouté de livre audio alors je ne sais pas vraiment comment c’est) c’est qu’il y a une vraie musicalité dans le texte, c’est dommage de passer à côté. Par contre 4h… elle me tue cette fille ^^
Oui, Lianne est pas humaine, les scientifiques sont encore partagés sur sa véritable nature 😀
Pour l’audio c’est franchement une bonne lectrice sur ce coup (tu dois avoir un extrait gratuit sur audible), je trouve qu’elle retranscrit bien l’ambiance du texte et les sonorités, surtout en VO
Le vrai problème du livre audio, c est que le retour en arrière est impossible. Si tu perds le fil, tu ne peux pas recommencer aux pages voire au chapitre d’avant. Perso j aime pas les audios pour ça.
En fait sur l’appli audible t’as deux boutons « reculer de 30 sec » et « avancer de 30 sec », ça permet de faire exactement ça
Le format ne me convient pas. Si ça te convient, tant mieux hein ! 😉
Super critique à laquelle j’adhère à 100% puisque je suis l’auteur de la critique de Babelio! Tu as eu le courage d’aller au bout en audio, je ne l’ai pas eu en papier…
Les deux seuls lecteurs qui aiment la joie et la bonne humeur XD
Cette trilogie serait glauque et qu’elle ne témoignerait pas d’un sens de la fraternité et de l’entraide bien poussé. Je trouve cela un peu injuste. A part le fait que les feel good book ne manquent pas (une astuce : on les reconnait souvent à leur titre à rallonge, genre « j’aime boire du café en pelant des patates pendant que des écureuils aux yeux jaune gambadent autour de moi sur la pelouse d’un magasin Ikéa »), ok je plaisante. Il y a une solidarité qui s’installe, chaotiquement, difficilement, mais elle est là. Surtout, finalement, ces deux premiers tomes parlent avant tout d’une chose… L’amour.
Oulah, alors la fraternité et l’entraide ils sont bien cachés dans le tome 1, c’est plutôt le pragmatisme froid qui prime. L’amour… Bah, y’a de l’amour déchiré, de l’amour perdu, de l' »amour » imposé… Donc ouais, si on est un peu tordu ça parle d’amour… Si on veux XD
AH je comprends très bien votre point de vue moi aussi je me demande pourquoi les trilogies post-ado sont souvent sur des univers apocalyptiques.
J’ai bien envie d’écrire une trylogie apocalyptique mais axée sur des valeurs positives, pour changer, voir si ça pourrait intéresser.
Mais faut dire que je dois être très sensible. J’avais déjà du mal avec Hunger games, avec un sentiment de malaise en voyant Katniss se demander quel était le prochain être humain qu’elle serait obligée de tuer… il y a toujours une certaine perversité dans ces romans, où la violence semble la norme voire un jeu. Bizarre, quand même.
Certes mais nous ne sommes pas dans du post ado, me semble… Ou bien alors toute littérature adulte est du post ado, oui, quand on y songe…
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Imaginez vous, vous, vivre dans l’Espagne Franquiste, l’Allemagne National Socialiste ou l’URSS de Staline… . La maltraitance des enfants jusqu’à la mi vingtième siècle… les enfants soldats ……..
Oui, mais ,aucun rapport.
Ces enfants là n’étaient pas le seul espoir de l’humanité a condition de maitriser leurs emotions
Mais c est que les orogenes vivent au milieu des cons, y a pas d autre explication ! Regarde ce qu il advient de tous les peuples qui savent vivre en équilibre avec la nature: décimés par les autres êtres humains ou par les maladies que ces derniers se trimbalent. Et pourtant ils étaient peut-être le seul espoir de l humanité, va savoir.
Mais les peuples dont tu parles n’étaient pas nécessaires à la survie de tous, de manière vraiment urgente comme ici
Certes. Mais ces sauveurs sont aussi extrêmement dangereux.
Ils sont formés par des gens qui, comme eux, sont rejetés et vont avoir subi quelques atrocités. Dans ces cas, qui existent aussi dans la réalité, on éduque en reproduisant ce que l on a vécu. Car notre propre éducation est le seul manuel à notre disposition. Et quelle que soit notre education, si notre vie est faite de réussites, alors le manuel est viable et applicable avec l espoir de transmettre la réussite qui va de pair pour nous avec les désagrément occasionnels ou quotidiens.
Pourquoi la fessée est elle dorénavant « interdite » en France ? Pour tenter de faire prendre conscience que la violence n est pas de l éducation mais de la domination (ou à la rigueur du renforcement).
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