Pour démarrer 2016 en grandes pompes, les éditions du Bélial’ lancent une collection toute neuve dès le 14 Janvier : « Une heure lumière ». La particularité de celle-ci est de publier des romans relativement courts (entre 100 et 200 pages), on peut aussi appeler ça des nouvelles longues, on sait pas trop. Les anglo-saxons s’emmerdent pas, ils ont un mot exprès, c’est un « novella ».
Ce format, un poil moins répandu chez nous (même si certaines parutions existent, comme les librio à 10 boules de quand j’étais pitit), semble être une source de petites perles cachées, d’expérimentations farfelues et de textes intenses dans la littérature de genre. La première parution sous ce label est un texte inédit de l’auteur français Thomas Day, qui a déjà sorti une tripotée de trucs mais dont je n’ai lu que l’excellente nouvelle Noc-kerrigan parue dans Bifrost 76 (Bifrost c’est bien, lisez Bifrost). Ça sera donc une bonne occasion pour voir si je vais encore ajouter un auteur à ma liste beaucoup trop longue de gens à suivre.
Dragon se déroule à Bangkok dans un avenir proche. Le pays vient de changer de régime politique et le dérèglement climatique a provoqué l’inondation d’une partie de la ville, où les tuk-tuks ont étés troqués contre des jetskis et des barques. C’est dans cette cité qu’un assassin va s’attaquer aux proxénètes et aux clients d’un tourisme sexuel ignoble. le lieutenant Tannhäuser Ruedpokanon va être chargé d’arrêter le meurtrier en toute discrétion, le nouveau gouvernement ne souhaite pas faire de vagues car le tourisme redémarre à peine. Tann va donc utiliser sa connaissance des bas-fonds et des bars louches thaïlandais pour poursuivre le criminel, celui qu’on appelle Dragon.
Thomas Day nous dépeint un milieu bien sordide, celui du tourisme sexuel et de la prostitution de mineurs. Franchement, il y va pas avec le dos de la cuillère, c’est violent et dérangeant mais juste ce qu’il faut. Le roman n’édulcore pas mais ne tombe pas dans le malsain inutile, j’ai apprécié ce sens du dosage dans le morbide (un petit meurtre bien sale au petit déjeuner, c’est toujours revigorant, n’est-ce pas ?). Chaque scène a un sens et un but, c’est pas du glauque pour le sensationnel. On nous pose également un contexte : Avec des scènes rapides montrant les représentants du gouvernement et d’ONG, on a un aperçu des enjeux politiques et économiques du problème. Ils essayent de lutter contre ça, tout en restant discrets pour que le tourisme « normal » continue de tourner.
Le personnage principal, le lieutenant Ruedpokanon, est le point fort du livre. Loin des super-flics habituels, on le suit dans les coins sombres de Bangkok et on comprends vite qu’il connait bien le milieu de la prostitution et des bars à « ladyboys ». Son passé et sa personnalité sont présentés avec beaucoup de subtilité malgré le background pesant. L’auteur nous parle de sexe, de transsexuels, de « déviance », sans jamais être moralisateur. Tann apparait comme un être humain errant dans un monde horrible, y cherchant sa place et un idéal bien à lui. L’affrontement entre ce personnage et Dragon est le point central du récit, tout est construit pour mener les trajectoires de ces deux protagonistes l’une contre l’autre.
Mais on n’a pas vraiment affaire à un thriller gore classique car une petite touche de fantastique plane sur l’histoire (on est chez Le Bélial’ hein…), un côté mystique va prendre le pas mais encore une fois, la subtilité est de mise et tout fonctionne parfaitement ensemble. Le format du livre permet une histoire qui va vite, Thomas Day joue avec des ellipses bien placées et laisse quelques zones d’ombres dans sa construction légèrement éclatée, mais le propos reste intact, puissant. Dragon retourne le lecteur dans à peu près tous les sens.
J’ai toujours eu du mal à m’immerger dans les nouvelles courtes, mais le format adopté par « Une heure lumière » permet un bon compromis, on a le temps de poser l’ambiance et les personnages, de jeter une intrigue et de donner les clés au lecteur avant de le laisser se démerder avec tout ça. Ça fonctionne à merveille avec Dragon, et Le nexus du Dr Erdmann de Nancy Kress, second livre de la collection, est déjà posé pas très loin, attendant son heure.
Un mot sur le côté visuel, la collection se présente sur un format presque-poche (un peu plus grand) et des couvertures très graphiques concoctées par Aurélien Police. Il arrive toujours à nous pondre des visuels très classes et s’occupe des 4 premières parutions. Les couvertures des livres sont magnifiques et cohérentes entre elles, donnant son identité visuelle à l’ensemble de la collection. Cookie Monster et Le choix sortiront le 11 février.
Un de mes auteurs favoris 🙂 J’ai hâte de découvrir ce texte-ci, surtout après ta critique ! (je te conseille aussi son recueil Women in chains, très dérangeant mais marquant)
Merci, je note. Il va falloir que je fasse une grosse liste de ses œuvres avec des priorités scientifiquement élaborées sinon on s’en sortira pas
C’est le genre de collection qui va beaucoup me plaire, je pense que j’irais faire une petite réserve aux imaginales. J’aime bien ce genre de format pour découvrir de nouveaux auteurs : c’est suffisamment long pour avoir une idée du style, du rythme de l’auteur, tout en étant pas un pavé ou une trilogie ce qui a tendance à me décourager d’acheter.
Je vais ajouter celui-ci à ma gigantesque wishlist…Je ne lis que très très peu de thriller, mais ça m’a l’air différent des intrigues « classiques ».
Oui, c’est pas vraiment un thriller pur au final, c’est un croisement de plein de choses…
Je suis en train de lire le second de la collection et ça démarre bien… J’pense que l’intégrale fera chouette sur mon étagère 😀
J’ai bien l’intention de me procurer les quatre premières sorties (et sans doute la suite…).
Avec Thomas Day, en général ça frappe là où ça fait mal, je sais donc à quoi m’attendre. Mais j’ai hâte.
D’aucuns disent que la novella est le format où la science-fiction s’exprime le mieux. On verra avec ce que nous proposeront les récits anglo-saxons. En tout cas, les couvertures sont très réussies (premier bon point).
Oui, je prendrai au moins les 4 premiers aussi. Le côté SF de Dragon et du Nexus sont très en retrait, pour le moment c’est plus une collection hybride fantastique, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et le format Novella me plait bien également.