Jean-Philippe Jaworski, c’est LA grosse pointure de la fantasy française, celui qu’on cite en exemple, celui qu’on place en tête de file des grands de chez nous. Tous ses romans se prennent des critiques élogieuses et le lectorat francophone attend avec ferveur la suite de ses parutions. Mais moi je m’en vais vous dire pourquoi c’est pourri !
Mais non je déconne, calmez-vous ! Range cette fourche, toi ! J’ai l’habitude de dire des bêtises mais quand même, j’ai des limites. J’ai beaucoup aimé ses deux premiers romans (Gagner la guerre et Même pas mort) mais j’avais laissé de côté Janua Vera, son premier livre paru en 2007 chez Les Moutons Électriques, qui est en fait un recueil de nouvelles se déroulant dans le Vieux-Royaume (le monde qui sera développé dans Gagner la guerre ensuite). Je l’ai zappé parce que les nouvelles, moi, mouais, bof, voilà quoi… Mais comme dernièrement j’ai lu plusieurs récits courts plutôt bons, j’étais bien lancé donc je me suis « pourquoi pas ? »
Janua Vera est donc un ensemble de nouvelles relativement longues se déroulant toutes dans le même monde (le Vieux Royaume, donc) à des époques diverses. Il démarre assez tranquillement sur les doutes et les tracas du Roi-Dieu Leodagar, tourmenté par des rêves récurrents. Si ce début calme et intimiste est une bonne entrée en matière avec juste ce qu’il faut de talent pour embarquer le lecteur, c’est à partir de la seconde qu’on part vraiment dans le vif du sujet. Que ce soit pendant le siège de Montefellone ou en compagnie du délicieux assassin Benvenuto Gesufal ( « héros » de Gagner la Guerre) dans les ruelles sombres de Ciudalia, l’auteur nous plonge en quelques mots au milieu de situations clairement définies, à suivre des personnages esquissés à la perfection.
Je vais pas lister tous les récits pour laisser quelques surprises intactes, mais le gros point fort de ce recueil est son paradoxe principal. Il arrive à alterner des ambiances et situations très variées, tout en gardant une cohérence d’univers et en donnant au lecteur une impression de « grand tout ». Du récit guerrier au complot politique, en passant par du conte, du surnaturel effrayant ou même du comique (Jour de guigne est réellement réjouissant), Jaworski jongle avec les genres mais garde un style parfait. Il sait être posé, poétique puis part dans un dynamisme percutant. Il arrive à évoquer des images et des atmosphères captivantes pour nous plonger dans son monde, toujours avec le bon mot, le bon rythme, la bonne sonorité. De l’écriture de cette qualité, on n’en a pas tous les jours (oui, enfin, sauf si on lit du Jaworski tous les jours, mais faut être bien mono-maniaque).
Et avec toutes ces pièces il arrive à dresser un tableau du Vieux-Royaume où se côtoient superstition, violence, beauté et tendresse. On est dans un univers à la grandeur passée, incarnée par la premières histoire, mais où la suite part progressivement vers des humains livrés à eux-mêmes : des soldats, des paysans, des ouvriers, des rouages d’un monde qui tourne quasiment tout seul, mais où les anomalies sont autant de petites histoires. L’auteur ne s’attarde que très peu sur les héros et les puissants, il se focalise sur des vies et des personnages humains auxquels il donne de l’importance et de la magie.
Janua Vera est peut-être le recueil de nouvelles le plus captivant que je connaisse, pas une histoire n’est à jeter, pas une seule n’abaisse le niveau de l’ensemble. Jean-Philippe Jaworski démarrait sur un tour de force, mieux encore que les deux romans qui ont suivi et qui sont pourtant excellents ( et pour les autres, Chasse Royale et Le sentiment du fer, je sais pas encore, mais je le saurai certainement bientôt…).
Lire aussi l’avis de : K. (Elbakin), Lorkhan, Tigger Lilly (Le dragon galactique), Gromovar (Quoi de neuf sur ma pile), Boudicca (Le bibliocosme),
Des ambiances et des personnages différents, des styles variés, difficile de faire le difficile avec ce recueil.
« Jour de guigne » est excellente, tout comme « Mauvaise donne ». Et « Le conte de Suzelle » frôle le chef d’oeuvre (voire y entre carrément !).
Il n’y a que la première nouvelle (qui donne son nom au recueil) qui est un léger ton en dessous.
Celui-ci, je le garde précieusement de côté : j’ai tellement, tellement aimé Gagner la guerre que je suis sure de l’aimer également. Il va donc falloir trouver le bon moment pour le savourer ! S’il n’était pas en carton, ta chronique m’inciterait à me jeter dessus ^_^